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RÉMINISCENCES

points mon client était impossible à défendre, ce qui ne m’empêcha pas d’adresser au jury une harangue, qui est restée dans les fastes du barreau. Je parlai des Thermopyles, de la bataille de Navarin, des « troubles » de 1837, des inégalités sociales et enfin de circonstances atténuantes, que je puisai dans les plus lointaines retraites de mon imagination. Tout fut inutile. M. le juge Coursol fit sa « charge » en cinq minutes. Il daigna remarquer qu’un discours spirituel, rempli de réminiscences historiques, ne suffisait pas pour établir l’innocence de l’accusé, et un verdict de « coupable » fut prononcé séance tenante, sans l’ombre de délibération.

Je n’eus pas le temps de me féliciter de mes débuts ; l’instant d’après mon autre client paraissait à la barre.




Celui-là avait une figure douce, sympathique, et tout prédisposait en sa faveur, mais il avait fait les choses aussi bêtement que possible. Pour le tirer d’embarras il fallait un vieux praticien ; j’examinai des témoins, je balbutiai des arguments, j’essayai de toutes les roueries les plus accréditées, mais la cause était perdue sans ressources. Tout à coup je me sentis tiré par la manche de la robe de Geoffrion. C’était un mien ami, rompu à toutes les finesses du métier : « Tu n’as donc pas remarqué, me dit-il, un flaw dans l’indictement ? Fais-le valoir tout de suite et ton client est sauvé »