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RÉMINISCENCES

L’ancien hôtel Richelieu était bien loin d’être à cette époque ce qu’il devint quelques années plus tard, par des augmentations, des allongements et des élargissements qui l’étendirent d’une rue à l’autre, avec une façade trois fois plus grande, sur la rue St-Vincent, que la façade primitive. L’hôtel ne comprenait absolument alors que le vieux corps de bâtiment qui, aujourd’hui, n’en est guère qu’une annexe, quoiqu’il donne accès à la buvette, à la salle à manger et aux cabinets particuliers. Mais comme tout était jeune encore dans ce vieux logis-là et combien étaient réjouissants les éclats de la bonne et franche gaieté d’autrefois, qu’on y entendait courir dans les salons et dans les corridors, jusqu’à des heures absolument indues ! Comme on y était chez soi ! Comme on s’y attablait ensemble, et comme on prenait le temps de se parler, de déguster son verre, ses verres, et de jouir un peu de la vie, loin d’être emporté, comme on l’est de nos jours, par cette fièvre d’activité brûlante qui réduit les heures à n’être plus que des minutes, et la vie qu’un arrêt entre deux trains !

Il était entendu que le Richelieu était la propriété de ses habitués aussi sérieux que fidèles, et cela à toute heure du jour et de la nuit. Isidore Durocher, le propriétaire actuel, qui était alors commis de buvette sous le sceptre d’Aimé Béliveau, semblait avoir reçu pour consigne de ne pas se coucher avant trois heures du matin, et il l’observait rigoureusement.

J’ai passé là des heures inoubliables dans la compagnie d’hommes qui ont joué un grand, un très grand rôle dans l’his-