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RÉMINISCENCES

sombreur, en dépit de tous les bouleversements opérés dans la grande métropole canadienne. N’allons pas croire tout de même qu’il y ait eu un mot d’ordre, transmis de génération en génération d’échevins, depuis un quart de siècle, pour la conserver comme une relique. Non, c’est son obscurité qui l’a sauvée. De même que de tout petit moineaux échappent à la serre de l’épervier, de même la pauvre petite rue Saint-Jean-Baptiste a échappé au regard flamboyant et à la fureur meurtrière des conseillers de ville, espèce qui n’a ni entrailles, ni foi ni loi.

Les réunions du cénacle avaient lieu chez moi, et j’étais chargé d’y faire… devinez… un cours d’économie politique ! Hélas ! Qu’est devenu ce cours ! Quant à l’économie, on ne m’a jamais mis en mesure d’en faire, et même dans ce cas, je n’oserais répondre de rien.

Nous avons passé là des heures fécondes, dont le germe a fructifié pendant une longue suite d’années.

Dans ce temps-là il n’y avait pas encore de journaux français quotidiens à Montréal ; mais ils étaient à la veille de poindre. — On n’y comptait à vrai dire que deux grands organes reconnus de l’opinion publique ; d’un côté la « Minerve », bouffie de patronage, replète à en crever, suant à grosses gouttes les louis du trésor, organe et instrument de George-Étienne Cartier, dont les bleus ont voulu absolument faire un grand homme, ce qui n’était pas nécessaire, puisqu’ils devaient avoir un jour Joseph Tassé. De l’autre côté, il y avait le « Pays », organe des Rouges,