Page:Buies - Réminiscences, Les jeunes barbares, c1893.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
RÉMINISCENCES

des rouges vrais, aussi maigre que la « Minerve » était grasse, ne paraissant que tous les deux jours, vivant de souscriptions et de sacrifiées, faisant une lutte héroïque avec les seules ressources que lui apportaient et que renouvelaient incessamment le patriotisme déterminé d’alors, les convictions ardentes et l’amour exalté des principes.




On avait beau jeu faire des articles à cette époque. On n’était pas submergé par le flot toujours, toujours grossissant des dépêches qui arrivent de toutes les parties du monde. On n’avait pas devant soi des montagnes de journaux, avec leurs bataillons serrés de colonnes, et qui déferlent, comme d’énormes ras-de-marée, à chaque courrier nouveau ; on n’avait pas non plus le fléau des « reporters », ces frelons de la presse, ces remplisseurs enragés qui jouent dans le journalisme le rôle de la bourre dans les canons. On pouvait s’asseoir tranquillement pour écrire son article, sans être menacé d’une averse d’incidents imprévus et de complications pouvant s’abattre à toute minute dans le cabinet sacré du rédacteur. Celui-ci, à son fauteuil éditorial, était inviolable comme un bonze dans son sanctuaire. Heureuse enfance du journalisme, où l’on prenait si naïvement des joujoux pour des réalités ! Tous ceux qui s’en mêlaient étaient des croyants. Ils croyaient que le monde irait toujours de mieux