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RÉMINISCENCES

en mieux, que de la lutte se dégagerait de plus en plus nette l’idée de vérité, de progrès rationnel, et jamais ils n’auraient rêvé qu’elle aboutirait un jour à la simple formule : « ôte-toi de là que je m’y mette, et si tu ne t’ôtes pas, je vais t’ôter », pas plus qu’ils auraient rêvé qu’à la fin du dix-neuvième siècle on pût proclamer audacieusement que « la force prime le droit. »

On ne faisait jamais son article à la dernière heure, comme aujourd’hui, de peur qu’il ne « survienne quelque chose. » Et comme on en était fier quand on avait touché juste ! Comme on en parlait ! – on avait encore pour cela vingt-quatre heures devant soi – et comme l’article avait déjà été lu avant de paraître ! Je me rappelle, quand le premier message fut échangé par le premier câble transatlantique, entre la reine Victoria et le président Grant, les figures de nos bons Montréalais, de ces mêmes hommes qui, aujourd’hui, poseraient sans hésiter un câble entre leur ville et l’étoile polaire ; la bonne moitié d’entre eux croyaient à une mystification. Ils avaient conservé un reste de jeunesse et de candeur et étaient encore capables de s’étonner ! Je ne dirai pas que c’était là le « bon temps » plutôt que tout autre ; je ne suis pas encore à l’âge où l’on commet ces amusants anachronismes ; du reste, le « bon temps » est toujours celui qui se trouvait trente ans avant celui où l’on est, et le bon temps sera le nôtre pour ceux qui vivront dans trente, quarante et cinquante ans d’ici. Mais comme on est toujours mécontent de l’époque où l’on vit, comme on lui trouve tous les défauts et les vices, qui, évidemment, ne pouvaient exister avant elle,