Page:Buies - Réminiscences, Les jeunes barbares, c1893.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
RÉMINISCENCES

y échappaient toujours, grâce à une souplesse inouïe d’expression, à une habileté et à un art si profonds dans le choix des mots et dans la méthode d’argumentation, que la censure déroutée restait impuissante. Aussi, ces hommes s’appelaient-ils Prévost-Paradol, Weiss, John Lemoine, Jules Simon, Adolphe Guéroult, pour ne citer que les plus connus dans le journalisme militant.

Robidoux ne se lassait pas non plus de nous rappeler les poètes, ces demi dieux qui habitent la terre en se retenant aux cieux, et qui n’y viennent que pour conquérir l’immortalité. Il les connaissait tous, il vivait dans leur fréquentation de tous les jours, aussi bien des génies transcendants qui, comme Victor Hugo, Lamartine, Musset, Leconte de l’Isle, tracent un sillon à jamais ineffaçable dans la mémoire des hommes, que de ceux qui, planant un peu au-dessous dans le ciel de France, ressemblent à ces doux et caressants rayons qui attirent de la terre tous ses parfums et les versent dans le cœur des hommes réjouis et consolés.

Robidoux avait dès lors le don, je dirai presque le génie de la persuasion, cette liqueur subtile qui s’infiltre dans toutes les veines, comme à notre insu, et qui chatouille si agréablement toutes les fibres ! Il se dégageait de sa personne et de ses paroles une onction glissante et pénétrante, comme se dégage de certains bois un arôme dont on est tout pénétré avant de l’avoir respiré à peine, ou comme celui qui s’échappe, s’épand et roule à flots d’un bol de « mocha » préparé