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RÉMINISCENCES

tout ahuris, tout dépaysés au milieu des étudiants vieux modèle, dont nous avons été les derniers types.

Il y a de cela guère plus d’un quart de siècle. On a vite dit, on a vite écrit cela : « un quart de siècle ». Un trait de plume, et c’est fait. Eh bien ! Eh bien ! Ça se passe encore plus vite. Impossible de s’illusionner là-dessus. Il n’y a pas de trait de plume qui soit aussi rapide que le passé.

Mais que de choses dans ce quart de siècle ! Mon Dieu, que de choses ! C’est à en devenir tout étourdi quand on se retourne pour regarder derrière soi ce laps de temps. Naïf serait-on de s’étonner que la jeunesse d’aujourd’hui soit tout différente de celle d’alors. C’est le monde entier qui est sens dessus dessous ! La science, les découvertes, les progrès de toute nature nous ont fait une planète qui n’a rien de commun avec l’ancienne. Par suite, les jeunes du temps présent ne peuvent avoir ni les habitudes, ni le genre de vie, ni le tempérament, ni la manière d’être de ceux d’il y a une trentaine d’années. L’ancien esprit, qui était la résultante des conditions d’un monde se rattachant au passé par mille liens, s’est comme entièrement métamorphosé. Des choses, auxquelles on tenait extrêmement naguère et qui constituaient le fonds principal de l’éducation, semblent, aujourd’hui des mythes. On regarde un Canadien qui, il y a trente ans, possédait déjà un quart de siècle, comme une espèce d’apparition préhistorique. Nous avons presque toutes les allures d’une première moitié du siècle à la fin de la deuxième, et ce qu’il y a en nous de vivant a toutes les peines du monde à combattre ce qui y tient du fantôme ou du fossile en préparation.