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que découpée sur la nue immobile ; les petites rivières, ça et là, tiraient péniblement leurs eaux déjà pesantes et engourdies ; partout le silence, une atmosphère regorgeant de tristesse, une sorte de saisissement de la nature entière dans lequel toute vie s’était arrêtée soudain, et le crépuscule épaissi donnant à tous les objets d’alentour des formes de spectres et de fantômes qui fuyaient épouvantés devant le souffle brûlant et le jet de feu sanglant de la locomotive.

Nous allons, nous avalons l’espace aussi vite qu’on peut le faire dans un train de construction sur les sections de la voie où le ballastage est complété, mais où il n’est pas encore assez ferme pour permettre à la locomotive de se lancer dans la plénitude de sa force, comme le discours d’un membre convaincu. Il s’agit d’arriver, pour le souper de six heures, au bout de l’île du Lac Édouard, à la première traversée de la Batiscan, trente milles plus loin que la rivière à Pierre, endroit décoré aujourd’hui du nom de station Beaudet, et où s’élève ou plutôt s’allonge un log-house aristocratique, le Windsor, quartier général et pension des entrepreneurs, des ingénieurs, des arpenteurs, des chroniqueurs et des conférenciers de distinction.

Après une course de sept milles, nous passons devant une toute petite construction qui n’a l’air de rien du tout, que l’on croirait être une guérite de factionnaire abandonnée. Mais il faut faire attention à soi en arrivant ici, car cette guérite est la propriété d’un employé du bureau de police, sorte de station minuscule que M. Aimé Talbot, car c’est bien lui, a fait construire à ses frais et où il descend chaque fois qu’il