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Page:Buies - Sur le parcours du chemin de fer du Lac St-Jean, première conférence, 1886.djvu/38

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des autres hommes ; qui vivent, eux et leurs petits, là où la terre refuse en quelque sorte tout aliment, qui n’ont avec tout cela aucun soutien du dehors, puisant toute leur force dans une sorte d’appui mystérieux, pionniers inspirés, sans le savoir, qui sèment aujourd’hui dans le désert ce que tout un peuple recueillera demain dans l’abondance, ceux, dis-je, qui ont pu comme moi contempler ce spectacle mille fois attachant et émouvant, savent tout ce qui est contenu dans ce mot de défricheur si commun, si indifférent en apparence, si banal dans le langage ministériel, et si humble qu’il n’éveille que l’idée vague d’une cabane au fond des bois et d’un abattis d’arbres fumants fait tout autour d’elle, en attendant que quelques touffes de blé poussent au milieu des souches noircies par le feu. Cela n’est pas tout, messieurs ; il y a bien plus que cela dans un défrichement, et nous allons tâcher d’y arrêter notre pensée pour nous en convaincre.

Il faut voir ces forêts s’étendant à perte de vue, au milieu de pays montagneux, durs, en quelque sorte inhabitables, jusqu’à des limites encore inconnues ou que l’imagination ne se représente que dans un lointain inaccessible, pour se faire une idée de ce que c’est que l’homme seul, au milieu de cette immensité qui ne lui présente que des obstacles, des privations de toute sorte, une misère affreuse, d’appui en rien, ni d’aucun côté, et la lutte partout, un combat continuel contre la nature et pour la nature, des découragements semés à chaque pas, des travaux souvent rendus inutiles par le temps et les contretemps multipliés, des accidents sous vingt for-