Page:Buisson, Rapport fait au nom de la Commission de l’enseignement chargée d’examiner le projet de loi relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste - N°1509 - Annexe suite au 11 février 1904 - 1904.pdf/28

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enseignement religieux à ses enfants, à tout professeur catholique ou même clérical d’enseigner suivant ses convictions, à tout groupe de professeurs ou de pères de famille ou de citoyens catholiques ou même cléricaux de fonder telle association que bon leur semblera. Pourquoi ? Parce que tout cela est le droit commun, ce qui veut dire qu’il est commun à tous les individus sans distinction possible d’opinions.

Mais que quelques-uns de ces individus, non contents d’user de leurs droits individuels, imaginent d’en résigner tout ou partie aux mains d’un chef, que par exemple ils s’engagent par serment à ne pas se marier : le droit commun exigera-t-il que l’État déclare sur-le-champ que ce groupe de réfractaires à la famille constitue un être nouveau, une personne civile, qu’il y a là un établissement d’utilité publique à entourer d’un supplément de prestige et d’autorité ?

Et quand cette congrégation ajoute qu’elle entend placer les enfants dans un milieu tout spécial, quand elle promet aux familles bien pensantes de garder si bien leurs enfants de toute influence étrangère qu’au sortir de là ils penseront forcément comme leurs familles, quand elle s’engage à les préserver de tout contact avec le siècle et de faire en sorte qu’ils arrivent à l’âge d’homme sans soupçonner qu’il y a un abîme entre l’esprit de leurs maîtres et celui de la France républicaine, quand les plus modérés de ces maîtres, non pas au fond de quelque village perdu, mais dans les églises de la capitale, parlant d’une de leurs œuvres les plus populaires, peuvent écrire : « Nos patronages sont le complément de l’école, le plus souvent son correctif. Nous nous devons à tous, parce qu’à tous on s’efforce d’inoculer le virus laïque[1] », il faudrait que l’État usât de son pouvoir souverain pour créer lui-même en leur faveur un droit qu’ils n’auront que s’il le leur donne, celui d’organiser, avec protection expresse le la République, une vaste entreprise d’enseignement qui, si elle s’étendait assez, serait la mort assurée de la République !

Le terrain sur lequel se maintient le projet du Gouvernement pour se refuser à une telle condescendance a un avantage incomparable : c’est d’être absolument en dehors de toutes les questions de doctrine, de croyance et de confession.

La loi ne frappe ni de suspicion ni d’exclusion aucune forme de la pensée, aucune méthode d’éducation. C’est exclusivement sur des signes extérieurs que la loi se prononce. Elle ne vise que des faits matériels.

  1. Conférences de Saint-Augustin sur la manière de diriger les patronages de jeunes filles. Première conférence de M. l’abbé Georges Schaefer, dans le Supplément du patronage des jeunes filles, janvier 1904, p.6.