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Les contradictions que nous rencontrons à chaque pas dans notre étude du système du monde, l’incohérence du plan de l’Univers tel que nous pouvons le comprendre, l’opposition directe que nous trouvons entre les conclusions de notre logique et la réalité des choses, les antinomies de Kant, les incertitudes et les angoisses parfois si douloureuses de notre conscience morale n’ont pas d’autre origine que cette adaptation imparfaite de l’être humain toujours en évolution par rapport au milieu toujours nouveau dans lequel il évolue. Si, pour abréger, nous employons le langage finaliste, nous pouvons dire que la sélection agit dans un but d’utilité. En raison des expériences ancestrales, et tantôt en accord, tantôt en discordance apparente avec le déterminisme, condition de toute science, elle nous donne à la fois et les axiomes fondamentaux de la connaissance et certaines illusions nécessaires telles que celle de la liberté ou celle de la permanence et de la survivance de notre moi, parce que ces illusions ont été et sont sans doute encore une force indispensable dans la lutte pour l’existence et que peut-être sans elles l’humanité n’existerait plus[1].

Le rôle de ce qu’on a appelé la logique du sentiment n’est pas inférieur dans la pratique à celui de la logique rationnelle.

Mais, bannie de la science, la logique affective disparaîtra sans doute peu à peu et pour jamais de tous les compartiments de l’activité humaine. L’évolution est irréversible et l’indestructible passé conditionne la morale de l’avenir.

Il n’y a, ce me semble, nul danger à faire entrevoir cet avenir lointain de la morale monistique.

Notre grand Lamarck, dont vous me permettrez d’invoquer une fois de plus l’autorité, l’a dit très justement :

« Ce n’est que relativement que certaines vérités peuvent paraître dangereuses ; car elles ne le sont point par elles-mêmes, elles nuisent

  1. J’ai déjà exposé cette manière de voir, du moins en ce qui concerne l’idée de liberté, dans la Préface que j’ai écrite pour le livre de F. Le Dantec, L’individualité et l’erreur individualiste, Paris, Alcan, 1898 (p. 5).

    Au reste les nouvelles générations semblent bien préparées à accueillir favorablement de pareilles considérations. Je trouve dans une Revue publiée par des jeunes cette phrase caractéristique : « L’ensemble des règles morales ainsi accumulées et transmises par les générations nous soumet à son empire et constitue le préjugé moral qui nous gouverne à notre insu. » Lucien Momenheim, Coopération des idées, nov. 1905, p. 614.