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M. Spencer nous accorde à son tour, suivant ses principes, que l’évolution devait un jour en faire apparaître la nécessité ».

Je ne sais ce que Spencer a répondu à Secrétan, ni même s’il a jamais pris la peine de lui répondre ; mais il me semble que, pour un Darwiniste, il n’y a nul embarras à déclarer qu’en effet cette nécessité a dû s’imposer à un moment donné.

Les fondements de notre raison, ce qu’on appelle souvent à juste titre les idées innées, sont des idées nécessaires en ce sens qu’elles sont ce qu’elles sont et ne peuvent être différentes, étant donnés les origines de l’homme et les milieux dans lesquels il a évolué. Mais cette nécessité n’existe qu’à une certaine époque et pour les hommes vivant à cette époque, qui d’ailleurs peut être plus ou moins longue.

Elle est la traduction et la manifestation d’une structure cérébrale déterminée, le résultat d’expériences ancestrales lentement accumulées dans les neurones phylétiquement transmis. Le progrès des idées innées s’est effectué graduellement comme celui des organes somatiques et corrélativement aux besoins de l’existence humaine aux divers stades de l’évolution anthropologique. En énonçant son Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, Locke avait introduit en psychologie la théorie des causes actuelles. En ajoutant à cette formule le fameux nisi ipse intellectus, Leibnitz a tenu compte de l’intégration héréditaire et du jeu de la sélection.

Peut-être n’était-ce là qu’une intuition d’un cerveau génial devançant de beaucoup la démonstration de la vérité entrevue. Locke et Leibnitz n’avaient pas la preuve expérimentale de leurs affirmations.

Mais il a fallu que cela fût ainsi. On l’a dit maintes fois et H. Poincaré y insistait encore dans son livre si profond La Science et l’Hypothèse : l’état d’imperfection relative du cerveau humain lui a permis d’arriver momentanément à la conception de rapports qui seraient demeurés inaperçus si l’on s’était douté d’abord de la complexité des objets qu’ils relient. Si Tycho avait eu des instruments dix fois plus précis il n’y aurait jamais eu ni Kepler, ni Newton, ni Astronomie.

Chercher une vision trop claire de la réalité physique est souvent un obstacle dans la lutte matérielle pour l’existence, et, parfois, la sélection nous impose fort heureusement des concepts qui ne sont que des illusions provisoires mais nécessaires pour le progrès ultérieur.