Page:Bulletin de la Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais, tome 6, 1935.djvu/182

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Voici maintenant un spécimen des disputes entre l’abbaye et les seigneurs voisins (p. 160) : Kilien de Le Cœuillerie fut abbé de 1716 à 1727.

« On conte que cet abbé s’étant hasardé un jour d’aller lui-même trouver dans les champs le Prince de Montmorency, qui chassoit sur les terres de l’abbaye avec d’autres seigneurs, il leur représenta qu’ils n’avoient pas droit de chasser sur ses terres, et encore moins d’endommager les grains, sur quoi ces messieurs se disposoient à le maltraiter ; mais Monsieur l’Abbé se réfugia à la ferme de Bertonval, où les chasseurs le poursuivirent. Alors le fermier sortit avec un fusil et mit en joue le Prince qu’il eût tué, si Monsieur l’Abbé ne l’en eût empêché. Pendant que cette contestation duroit, les paysans, avertis que Monsieur l’Abbé étoit en danger, sortirent du village en grand nombre, armés de fusils, de fourches, de fléaux, etc... A la vue de ces paysans, les chasseurs prirent le parti prudent de la retraite, Monsieur l’Abbé ayant informé la Cour de l’affront qu’on lui avoit fait, le Prince et ses compagnons furent obligés de se rendre à l’abbaye pour faire des excuses sur ce qu’il s’étoit passé, ce qui leur valut un repas splendide que Monsieur l’Abbé leur donna ».

J’imagine qu’il n’oublia pas de récompenser et de faire festoyer aussi ses braves défenseurs. Ces paysans accourant en armes à la défense de leur abbé et de leur moisson excitent ma sympathie !

Mais la querelle qui revient sans cesse dans la chronique, c’est celle qui régna si longtemps entre l’abbaye et les seigneurs d’Ecoivres, ses plus proches voisins. Dom Wartel n’épargne pas ceux-ci, surtout le dernier, M. de Brandt (pp. 264-268).

« Le comte de Brandt de Marconne [était] seigneur d’Escoivres du chef de sa femme, qui étoit l’aînée de trois filles que Monsieur Mathon, seigneur d’Escoivres, avoit laissé à sa femme, que je n’ai jamais connu que sous le nom de Madame Mathon. Le sire de Marconne, gentillâtre d’Aire, cherchant à arrondir sa fortune, fit sa cour à Mademoiselle d’Escoivres par le canal même des religieux de Saint Eloy ; il venait prendre son gîte à l’abbaye avec ses gens et ses chevaux ; de là il se rendoit fort aisément à Escoivres, où il faisoit sa cour à la mère de sa future épouse. Monsieur l’Abbé le fêtoit bien : deux religieux surtout qui étoient familiers avec Madame Mathon la déterminèrent plus que tout autre à donner sa fille aînée à ce Monsieur. Mais à peine fut-il marié que pour témoigner sa reconnoissance à Messieurs de Saint Eloy, il deffendit à sa femme de voir aucun religieux de cette abbaye, et ceux qui espéroient les plus grands avantages pour avoir contribué au mariage du sire de Marconne, furent frustrés de leurs espérances, ce qui doit apprendre aux religieux à ne point s’immiscer dans de pareilles affaires ».

« Cependant Monsieur de Marconne fut à peine marié, qu’il postula et obtint le titre de comte de Brandt et de Marconne, et il crut alors qu’un homme comme lui ne devoit plus reconnoître de seigneurs en partie dans sa terre d’Escoivres. Il attaqua l’abbaye de Saint Eloy sur les droits et mouvances qu’elle avoit dans le village d’Escoivres, sur le titre de seigneurie vicomtière de la ferme et terroir de Chinchy. Ce grand procès fut jugé par arrêt de la Grande Chambre du Parlement de Paris. Par cet arrêt, la Cour maintenoit l’abbaye de Saint Eloy dans sa seigneurie vicomtière de Chinchy, mais elle donnoit la seigneurie des mouvances de l’abbaye situées dans le territoire d’Escoivres au comte de Brandt, à l’exception de la maison et enclos du prieur-curé de la paroisse.  ». Surviennent ensuite de nouveaux procès au sujet de l’étendue de la seigneurie de Chinchy. L’abbé Le Febvre concède au comte de Brandt à peu près tout ce qu’il demande : droit de planter, chasse exclusive, etc... ».

« Ce pauvre comte, qui dépensoit, à ce qu’on disoit, 60 mille francs par an chaque année en frais de procédure, eut le malheur d’être tué par la chûte de sa chaise en 1776 ; sur quoi l’on fit l’épigramme suivante :