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pense-t-on que le « miracle grec » serait admiré de tous ceux qui, dans le monde entier, sont sensibles à la Beauté ? Les auteurs de la Vie de l’Art théâtral constatent bien que l’on ne saurait, certes, comparer les textes d’Arnoul Gréban à ceux d’Eschyle, et cela les gêne quelque peu, puisque, dans leur système, à un état social parfait doivent correspondre des œuvres parfaites ; ils esquivent la difficulté en affirmant qu’ « il s’en est fallu de peu que le théâtre chrétien atteignît la même perfection ». De peu ? Oui, du génie seulement. Est-ce vraiment peu ? Bien des gens, dont je suis, ne le pensent pas.

Ces objections, je les crois graves. Elles portent sur des défauts capitaux qui me choquent, sur des partis pris violents et antiscientifiques qui me blessent. Et pourtant, je suis heureux que ce livre ait été écrit, et j’en remercie les auteurs. Tous ceux qui aiment vraiment le théâtre, dans la totalité de sa vie complexe, en éprouveront la même joie et la même gratitude. Les conclusions sont souvent faussées par des préventions intolérables, mais le point de départ est excellent, la conception du théâtre telle que je l’ai résumée tout à l’heure est d’une force lumineuse, d’une vérité irrésistible. C’est un des premiers ponts jetés entre le monde de l’érudition et le monde de la scène, que séparait jusqu’ici un fossé profond et abrupt. (Oserai-je rappeler que, l’an dernier, j’ai tenté, dans Le Rire et la Scène française, de jeter sur ce fossé une légère passerelle ?) Nous savons bien que, de chaque côté du pont, resteront sur leurs positions des adversaires irréconciliables : ici des histrions ignares, à qui toute culture est suspecte, là des pédants qui croient qu’on peut écrire sur les choses de la scène sans jamais lever les yeux plus haut que leurs bouquins poudreux, et qui traitent doctement du théâtre en l’ignorant ou en le haïssant. Mais, sur le pont lui-même,