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pu n’avoir qu’un auditoire très restreint. Lorsque les auteurs de la Vie de l’Art théâtral décrivent avec admiration la fusion des classes dans le public de l’époque élisabéthaine (p. 124), on s’aperçoit sans peine que la composition de la salle est identique, trait pour trait, à celle d’une chambrée de l’hôtel de Bourgogne ou du Palais-Royal sous le règne du Roi-Soleil, pendant cette période classique si dédaigneusement traitée par nos auteurs.

Voulant à toute force que le théâtre atteigne sa plénitude et sa perfection dans un seul cas : celui d’une communion complète, religieuse et sociale autant qu’esthétique, entre auteurs et spectateurs, MM. Baty et Chavance éliminent assez cavalièrement des exemples qui, confirmant leur thèse d’une façon seulement partielle, leur semblent plus gênants qu’utiles. Le cas le plus frappant est celui du drame wagnérien, exécuté en trois lignes, avec le secours d’une opinion radicalement fausse de Romain Rolland (p. 161). Et pourtant, il y avait bien là une tentative d’art scénique total, où l’équilibre le plus harmonieux s’établissait entre le poème, la musique, la mise en scène et le jeu des acteurs ; et quels auditoires ont été jamais plus unanimement fervents que ceux de Bayreuth ? Seulement, c’étaient des auditoires cultivés, préparés, initiés ; alors cela ne compte pas. Dans le système de MM. Baty et Chavance, la communion hypothétique d’une multitude bigarrée vaut cent fois mieux que la communion réelle d’une élite.

Il y a là aussi bien des préjugés peu soutenables : préjugé catholique, qui fait écrire sur le cartésianisme et la philosophie du XVIIIe siècle des phrases affligeantes où la légèreté aboutit à l’énormité ; préjugé démagogique et niveleur, qui réduit à l’excès la part du génie individuel, car enfin, si Eschyle, Sophocle et Euripide avaient été des artistes aussi gauches que Jean Michel ou Arnoul Gréban,