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DE L’ASIE FRANÇAISE

Le commerce russe dans ces régions est fait par des marchands qui arrivent de Biisk à travers l’Altaï. Jusqu’en 1860, ils se bornaient à trafiquer Sur frontière avec les Kalmouks sujets des deux empires. À cette époque la convention de Pékin ouvrit la Mongolie sans douane au commerce russe. Les marchands de Biisk fondèrent des entrepôts à Kobdo et à Ouliasoutai. La plus grande partie de la vente ne se fait pas d’ailleurs dans ces villes, mais dans les camps nomades des kochouns et dans les monastères, où l’on envoie du printemps à l’automne des représentants qui séjournent plus ou moins longtemps suivant l’importance du trafic. Ainsi, à Baïdarik, le représentant du marchand russe Ignatiev, d’Ouliasoutai, demeure un mois entier. Les objets d’exportation russe sont le cuir de Russie, dont toute la Mongolie est chaussée, et que ni Chinois ni Mongols ne savent préparer : les cotonnades, dont la vente est abondante, mais le profit faible, à cause des bas prix qu’impose la concurrence chinoise et anglaise ; du drap à bon marché, que les Chinois ne fabriquent pas ; le fer et les objets de fer, le métal russe étant moins cher en Mongolie occidentale que le fer chinois ; des caisses et cassettes, théières de cuivre, serrures, couteaux qui se ferment, boutons de bronze, miroirs, clinquant, tabatières, allumettes, tapis de Tiumen, savon, colle, chandelles, aiguilles, sucre, pain d’épice et confitures. Les paiements se font partie en argent, partie en objets d’échange.

Ce commerce fut d’abord fait dans de mauvaises conditions. Il était aux mains d’un petit nombre de maisons : trois, pour tout l’arrondissement de Kobdo. Le marchand russe ne venait pas lui-même diriger ses affaires. Il déléguait un représentant, en lui imposant l’unique condition de rapporter tant pour cent de bénéfice. Le représentant conduisait les affaires à sa guise. Préoccupé seulement de satisfaire aux exigences du maître, la qualité du commerce lui importait peu. Des marchandises traînaient deux ou trois ans en magasin. L’arrondissement d’Ouliasoutai, étant le plus éloigné, était le plus négligé. Les visites du maître y étaient plus rares, les marchandises de qualité et en quantité moindres un peu de nankin, du bougran, du méchant reps. Dans la ville d’Ouliasoutai, les pauvres boutiques des Russes étaient dissimulées dans l’intérieur des maisons chinoises. On pouvait parcourir la ville sans se douter de leur existence. Les affaires étaient presque nulles.

Depuis 1885 environ il en est autrement. Les petites maisons ont succédé aux grandes. À Kobdo, au lieu de 3 maisons avant chacune un mouvement d’affaires de 73 à 100.000 roubles il y a maintenant 24 petits détaillants, avec chacun un mouvement d’affaires de 6 à 30.000 roubles, deux seulement atteignant 80.000. Ces petits négociants, qui achètent leur stock à crédit en Russie, sont obligés de vendre pour solder leur dette. Pour vendre ils ont baissé leur prix. Aussitôt les consommateurs se sont adressés à eux. À Ouliasoutai, les écuelles, que les Chinois vendaient jadis deux fois moins cher que les Russes, aujourd’hui s’achètent exclusivement à ces derniers. L’exportation de la fonte, du fer, des objets de cuivre, a augmenté. Celle des trépieds de fer et des pincettes commence.

En même temps les petits commerçants, obligés de se donner plus de peine, ont multiplié les voyages dans les kochouns et étendu le rayon de leurs opérations. Enfin ces hommes qui résident dans le pays et qui le connaissent (à Ouliasoutai ce sont les anciens représentants qui ont repris les affaires à leur compte) ont accommodé leur commerce aux besoins de la vie mongole et s’en trouvent bien. Autrefois les marchands russes n’acceptaient comme objets d’échange que l’argent, le thé et les peaux de marmottes : un lan pour 2 roubles, une brique de thé pour 60 kopecks, une peau pour 5 kopecks. C’est le système que suivent encore les Chinois, qui n’acceptent que les moutons, la laine et les peaux de mouton. Aujourd’hui le détaillant russe accepte tous les produits de la vie mongole : peaux de renard, de martre, de zibeline, d’ours, de loup, de putois, de blaireau, de glouton, de mouton, de chèvre ; laine de mouton et de chameau ; chevaux, chameaux, beaufs, moutons, crin de cheval, peaux brutes, courroies, cordes, feutre, etc. Cette facilité attire le consommateur, et le marchand n’y perd rien. Car il fait de ces objets un second et avantageux échange. Avec ce système il devient impossible de fixer le prix des marchandises russes. Ainsi le bias est estimé 22 kopecks l’archine ; mais le marchand en vend 10 archines pour 5 peaux de mouton qui valent 2 r. 70, il revend les cinq peaux de mouton pour une de renard, qui vaut 3 r. 20, et ainsi de suite. — Autre exemple. Autrefois les marchands d’Ouliasoutai ne détaillaient pas le cuir de Russie à moins d’une demi-peau, valant 7 briques de thé. Le Mongol ne pouvait pas débourser une somme aussi forte ; et comme il devait aller chez le marchand chinois pour acheter de la soie, il y prenait en même temps des chaussures toutes faites au prix de 3 briques. Aujourd’hui, les marchands russes découpent des morceaux de cuir de 2 briques : ils gagnent à cette vente au détail, et les Mongols achètent plus de cuir qu’auparavant. Conséquence : la vente des chaussures chez les marchands chinois a baissé de 97 %.

Le commerce est donc très florissant. Les trois quarts de la population sont exclusivement vêtus de cotonnades russes, et qu’ils reçoivent directement des mains russes. Le commerce dans les kochouns s’est rapidement étendu. Les marchands russes vendent leurs denrées dans tout l’arrondissement de Kobdo, en descendant au Sud jusqu’à Goutchen et en couvrant de leurs voyages constants un espace qui comprend 750 verstes du Nord au Sud, et 600 d’Ouest en Est. Ils rencontrent à l’Est leurs confrères d’Ouliasoutai. L’activité de ceux-ci s’exerce le long de trois routes qui s’étendent vers l’Est à partir du méridien du lac Baganor : la première au Nord jusqu’à Daitchin-goun ; la seconde au centre prolonge la piste de Kobdo à Ouliasoutai jusqu’à Erveni ; la troisième au Sud