On put croire un instant qu'une véritable ligue diplomatique s'était formée contre la Russie. Mais on s'apercul bientot qu'il fallait en rabattre. L'Al lemagne, en particulier, ne voulait absolument pas se compromettre aux yeux de son voisin de PEst. On le vit clairement lorsqu'il fut question d'interpréter l'accord conclu à la fin de l'été der- nier entre Londres et Berlin, et par lequel l'An- gleterre et l'Allemagne déclaraient qu'elles fe- raient tout leur possible pour maintenir l'intégrité territoriale de la Chine, et qu'elles s'entendraient sur les mesures à prendre si cette intégrité ne pou- vait ètre maintenue. En Angleterre on soutenait que cet accord s'étendait à la Mandchourie. En Allemagne on disait le contraire, et on ne tarda pas à le dire officiellement à la tribune avec la netteté qui caractérise d'ordinaire les déclarations du minis- tère des affaires étrangères de l'Empire. Cet accord ne vise en rien la Mandchourie, déclarait M. de Bülow, le 15 mars, au Reichstag... J'ai déjà déclaré à différentes reprises que, lors des négociations faites en vue de conclure cet arrangement, nous n'avons laissé planer aucun doute sur otre intention de n'y viser en rien la Mandchourie. Nous n'avons aucun intérêt national important en Mandchourie. M. de Bülow ajoutait simplement, pour justifier les observations présentées à Pékin et montrer qu'elles ne visaient pas la politique russe: « Nous avons intérêt à ce que la Chine n'amoindrisse pas démesurément, pour le moment, sa fortune pu- blique... La Chine est débitrice des puissanees pour un montant important... Aussi longtemps que la Chine n'aura pas satisfait aux conditions fixées par la note collective, nous regretterons tout accord particulier qu'elle pourrait conclure avec n'importe qui, en lant qu'un tel accord nuirait essentiellement à l'action financière. » Et deux jours après, pour bien montrer combien peu il était opposé à la politique russe, le ministre des affaires étrangères disait au Reichstag : « J'ai reçu une dépèche de Saint-Pétersbourg m'annonçant que le ministre russe des affaires étrangères a exprimé à notre ambassadeur sa satisfaction de mes déclarations au sujet de la Chine. » L'Angleterre ne pouvait done compter sur aucun appui allemand sérieux contre la Russie. Tout au plus l'Allemagne, fidèle à ses habitudes de politique indépendante, avait-elle voulu faire sentir à Saint-Pétersbourg le prix de sa bonne volon- té. Et l'attitude de l'Allemagne entrainait évidem- ment celle de l'Autriche et de l'Italie; surtout à un moment où l'Italie se sent si peu disposée à faire mauvaise mine à l'alliance franco-russe. L'Angleterre n'a rien trouvé de plus solide auprès de la seconde puissance qu'elle avait tou- jours rèvé d'associer à sa politique en Chine : les Etats-Unis. Sans doute le gouvernement de Washington a présenté à la Chine des observa- tions sur l'inopportunité des accords séparés. Mais. par une note eirculaire du 26 mars, il définissait ainsi sa politique : Le gouvernement des Etats-Unis désire exprimer son avis sur l'inopportunité et mème l'extrême danger
pour les intérèts de la Chine qu'il y aurait pour elle à
négocier un accord particulier, financier ou territorial,
du moins en dehors de la pleine connaissance et de l'ap-
probation de toutes les puissances actuellement engagées
dans les négociations.
En admettant que de tels arrangements aient été con-
clus, le gouvernement des Etats-Unis estime que rien ne
s'est
produit qui puisse changer le status des Etats-Unis
en ce qui concerne le maintien de la
dans toutes les parties de la Chine, y compriş la Mand-
chourie. Dans toute la mesure où des engagements écrits
peuvent lier une puissance, la Russie reste tenue d'ac-
corder aux Etats- Unis la porte ouverte, même si elle
prend
estime que l'arrangement secret russo-chinois est en vio-
lation de l'esprit, sinon de la lettre, de l'entente générale
à laquelle toutes les puissances se rallièrent l'été der.
nier, et elle est prête à user de toute sa persuasion et de
toute son influence morales pour en empécher la conclu-
sion, mais elle n'est pas prête à aller plus loin.
Cette note est très caractéristique de la poli-
tique des Etats-Unis. Au fond, ce qu'ils veulent,
c'est que les puissances extrême-orientales restent
fidèles à l'engagement qu'elles ont toutes prises
envers le gouvernement de Washington de main-
tenir la porte ouverte au commerce américain,
dans les sphères qu'elles viendraient à acquérir.
Mais l'Angleterre ne pouvait trouver son compte à
ce que les Etats-Unis, tout en usant de toute leur
persuasion contre les visées russes en Mandchou-
rie, ne voulussent pas aller plus loin.
Restait le Japon. Son attitude n'a pas été très
résolue. Il a bien dit qu'il interprétait comme
l'Angleterre elle-même l'accord anglo-allemand de
1900, auquel il s'était immédiatement rallié, c'est-
à-dire qu'il estimait que cet accord, par lequel les
puissances contractantes s'engageaient à main-
tenir autant que possible l'intégrité de la Chine,
s'étendait à la Mandehourie. Le gouvernement
japonais a déclaré aux Chambres que jamais on
ne l'avait prévenu que des pourparlers antérieurs
et secrets eussent limité, comme M. de Bülow
l'avait dit au Reichstag, la portée de l'arrangement
anglo-allemand. Il a mème laissé entendre que
l'interprétation allemande reposait sur une bien
étrange conception du droit international. Mais on
n'a pas eu l'impression que le Japon voulut
agir. Il a fait des observations à la Chine. Il a
mème, dit-on, déclaré à la Cour céleste que, si elle
cédait à la Russie, il demanderait lui mème des
compensations dans le Fo-kien. Il a adressé aussi
des questions à Saint-Pétersbourg. La Russie a
répondu qu'elle ne pouvait discuter avec des tiers
un arrangement en cours de négociation, que cet
arrangement avait un caractère temporaire, qui
ne nuirait ni aux droits de la Chine ni à ceux des
autres Etats, et parfois, si l'arrangement, conclu et
publié, n'était pas satisfaisant pour les Japonais,
« des représentations amicales seraient possibles ».
C'était une fin de non-recevoir polie, mais le Japon
n'a paru à aucun moment désireux de pousser les
choses à l'extrême.
Sa prudence commandait celle de l'Angleterre.
« porte ouverte »
le
contrôle
de
la Mandchourie. L'administration
Le gouvernement britannique a toujours répondu
avec une extrême réserve, nous l'avons vu, aux
questions plus ou moins vives qu'on lui posait