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11 février 1899.
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LA VIE PARISIENNE

Il me clouait au dossier de mon fauteuil, ses deux mains rudement appuyées à mes épaules.

— Tu aimes quelqu’un ?… Tu vas le voir sans doute… chez lui… Et il t’embrasse ?…

— Oui !…

— Et…

Ah ! les affreuses et cyniques questions qui me salissaient, les mots pantelait sa jalousie, comme ils me faisaient du bien ! C’était mon heure d’amour, la seule que je dusse avoir, et tout ce qui débordait de lui, je le recueillais comme le trésor avec lequel j’enrichirai la fin de ma vie perdue. Les yeux clos, la figure froide comme au début d’une syncope, à toutes ses questions je répondais : « Oui ! »

Il y eut un silence, puis brutalement il me prit la tête et colla sa bouche à la mienne. Quand je me dégageai, mes lèvres, coupées sous ses dents, saignaient.

Nous nous regardions avec des yeux fous.

— Ne me parlez plus, dit-il sourdement, ne dites plus rien… Je ne veux plus rien savoir, mais je vous veux, vous ! Vous avez un amant. Quittez-le, soyez ma maîtresse, ma femme, ce que vous voudrez, je ne peux pas vivre sans vous, comprenez-vous, je ne peux pas !…

Ma résistance nerveuse était à bout, j’eus un spasme du cœur.

— Vous souffrez ! cria-t-il.

Il était à genoux, redevenu l’enfant attendri, et me regardait avec des yeux d’épouvante.

— Laissez-moi seule… je ne suis pas bien… Si vous n’avez pas pitié de moi je ne sais ce qui m’arrivera…

Il se releva sans un mot et marcha vers la porte. Je savais que c’était la dernière fois qu’il passerait là ; mon courage fléchit. Je le rappelai.

Il revint si vite… Avec un effort je me levai et je le baisai sur ses lèvres chères, puis, dégagée de ses bras :

— Allez, maintenant, lui dis-je.

Il hésita, il y avait de terribles choses dans son regard.

— Allez, répétai-je avec une telle tension de ma volonté qu’il obéit.

C’était fini.




Il y a huit jours de cela, je ne l’ai pas revu. On lui dit quand il vient, que je suis souffrante, couchée. Je ne réponds pas à ses lettres.

Ses lettres qui disent toutes la même chose avec une résolution chaque jour plus nette. Il veut que je me fasse libre et que je l’épouse. Mon mensonge n’a servi de rien… Ce n’était pas assez.

J’ai vécu cette semaine dans l’obscurité de ma chambre, les rideaux clos tout le jour, j’ai subi les suprêmes rébellions de mon cœur, mes rêves de bonheur toujours déçus ont crié insupportablement… maintenant c’est fini.

Il fallait entre lui et moi bâtir un obstacle de dégoût : c’est fait…

La soirée est écoulée — comme on a froid dans la solitude des heures nocturnes ! — M. de Monclet vient de partir… Et l’histoire de mon pauvre diable de cœur finira sur une note dans les journaux mondains de la semaine prochaine :

« On annonce le remariage du comte de Monclet et avec Mme Odile de Vringes. Le comte de Monclet et Mme de Vringes avaient plaidé en divorce il y a quelques années, mais les causes de dissentiment qui existaient entre eux ayant disparu, ils reprennent la vie commune, à la grande joie de leurs nombreux amis. »

— Quelle folle ! cette Odile, diront quelques-uns des « nombreux amis ».

— Ce n’est déjà pas si bête… Montclet a toujours ses deux cent mille livres de rentes, ajouteront quelques autres.

Personne ne dira :

— Pauvre Odile !

Personne…


CLEG.

(À suivre.)