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26 novembre 1898.
LA VIE PARISIENNE

— Mon Dieu ! vous êtes malade ? je vais appeler, m’écriai-je.

Il fit un faible geste de la main.

— Non, n’appelez pas, attendez… Je vais vous dire… écoutez-moi.

Il s’approcha de moi.

— Je voudrais vous embrasser.

Il avait mis sur mon maigre bras nu sa grande main froncée de plis, et elle était froide cette main, horriblement froide.

Ce n’était guère effrayant qu’il demandât à m’embrasser, ce vieil ami qui était toujours si bon pour moi, et cependant j’avais peur, peur comme je n’ai jamais eu peur : peur jusqu’au bout des doigts, jusqu’à mes pieds, qui s’étaient glacés, jusque dans mes cheveux… Peur de quoi ? Je n’en avais pas la moindre idée. Je dégageai violemment mon bras de la crispation de la grande main gelante, et, d’une voix qui chevrotait, je dis :

— Non ! je ne vous embrasserai pas ! Non ! certainement non !…

Rapidement, je marchai vers la porte. Il fit un pas vers moi, puis s’arrêta, s’appuyant au fauteuil comme s’il ne pouvait plus se soutenir, et ma terreur devenant une sorte de folie, je sortis en courant de la chambre des Médicis.

Le cotillon finissait, ma mère me cherchait pour partir. Je la suivis avec empressement et sans commentaires.

Le lendemain, une lettre du vieux monsieur vint, qui l’excusait de ne pouvoir nous faire ses adieux ; il était souffrant. Le surlendemain nous quittions Trouville.


Il m’a fallu vivre bien des années avant de comprendre le sentiment qui m’a toujours empêchée de raconter à qui que ce fût mon aventure avec le vieux monsieur.


(À suivre.)

CLEG.