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un voyage

Devant une prairie que bordent les premiers arbres du parc, une vieille maison se dresse. Empâtée d’un beau crépi jaune, coiffée gentiment par son toit d’anciennes tuiles, elle est charmante cette maison. Je la reconnais bien ! Toute la matinée, j’en ai vu les images sans nombre, aux vitrines des marchands. Là demeurait Charlotte von Stein que Gœthe aima.

Son père était maréchal de la Cour. De son mari on n’éprouve nul besoin de savoir quoi que ce soit. Mais elle, que l’on voudrait la connaître toute !

Elle avait une intelligence étendue, rapide, originale, une grande culture, un ardent goût des lettres, une grâce non pareille. Elle eut un cœur aussi et de la beauté. Le nez un peu long pourtant, mais quelle charmante ligne de la joue, quel regard sensible, pensif, plein de langueurs et de regrets. L’expression de la bouche est compliquée, tendre uniquement, croit-on d’abord, et puis on y découvre quelque autre chose que la seule tendresse. Les belles lèvres pleines sont faites pour les paroles de suprême douceur, pour les reproches aussi, et la colère, et l’amertume. Cette bouche tranquille est d’une femme passionnée. Charlotte von Stein fut passionnée, et, ensuite, triste.

Elle eut un grand nombre d’enfants, devint veuve et resta charmante et poétique parfaitement. Lorsque Gœthe la connut, il avait vingt-cinq ou vingt-six ans, elle, trente-trois. Il s’éprit éperdument. Et elle, elle fut enchantée, éblouie, séduite. Une intimité absolue s’établit entre ces deux esprits. Nombre de personnes veulent que la liaison soit