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les maisons sacrées

cette minute, comme on aime au seuil de la vieillesse, avec de la colère, du désespoir, de l’injustice, des maladresses, et tous les lamentables mensonges que l’on se fait à soi-même pour ne pas voir la réalité ?

Probablement, éclairé par l’indifférence, Gœthe s’aperçut alors que le génie de Charlotte avait des limites plus rapprochées qu’il n’avait cru. Il laissa entendre qu’il éprouvait un moins ardent désir de ses conseils. Un courant froid passa entre eux. Et puis, un matin, sur la lisière du parc, ici même, peut-être, devant la maison de celle qui avait été la sœur de son esprit, la joie de son âme, Gœthe trouva une fillette aux cheveux dorés, au teint éclatant. Une ouvrière, rien de plus, mais si jolie ! Elle ignorait les littératures et les philosophies, seulement, elle brillait de jeunesse. Fort intimidée par le grand homme, elle dut, on l’imagine, rougir agréablement et faire une belle révérence en lui tendant un placet. Il prit le placet, regarda la fillette, et aussitôt l’engagea à le venir voir dans sa maison isolée au bout du parc. On ne refuse pas l’invitation d’un si important personnage, la petite Christiane Vulpius vint, resta. Et le bel amour de Charlotte von Stein et du poète finit à jamais.

Du temps qu’on l’adorait par-dessus tout, la grande dame lettrée, raffinée, noble par le sang, le cœur et l’esprit pouvait mettre son élégance à cacher une blessure secrète, quand on lui avouait des fantaisies sans lendemain. Mais on ne l’aimait plus et ceci, c’étaient d’autres affaires qu’une aven-