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nuremberg

encore. Ce chant dessine une incomparable dentelle d’argent sur les ténèbres. Et la voix si fragile et si forte est nostalgique autant que celle des grands fauves à qui elle semble répondre. Tout se tait. Immobile, rêvant au goût de mon sang, les trois vautours qui maintenant font presque partie des ténèbres, me regardent…

La trêve de silence est courte. Les lions et l’oiseau fabuleux ont réveillé la douleur des bêtes captives. Des rochers qui s’entassent, des cavernes, de toutes parts des voix sortent, claires sombres, irritées. On dirait que ces créatures, faites pour s’entre-dévorer, échangent, à travers la distance et les obstacles, des confidences, et parlent fraternellement d’un passé mystérieux. Elles se racontent de longues histoires de meurtre, d’amour, de joies, de regrets infinis…

J’avance avec hésitation dans cette solitude où l’absence de l’homme et la nuit mettent en liberté l’âme des bêtes captives. Me voici au bord d’un lac. Le ciel jette encore sur l’eau un peu de lumière blême. Sous les arbres, l’obscurité est complète. Là-bas, aux saillies d’un grand rocher, j’aperçois confusément des formes grises. Derrière le rocher, un croissant de lune surgit, pâle, scintillant. La voix de l’oiseau né au pays lumineux monte encore, aiguë et si triste. Elle s’interrompt. Le lac est plus maléfique, l’ombre sous les arbres plus noire. Soudain, une des formes grises bouge lentement sur le roc. Et par-dessus les mugissements étouffés, les appels confus, un sanglot déchirant et fort s’élève,