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un voyage

temps que j’ai cessé d’entendre leurs misérables voix, suffoquées par les aboiements, les grognements, les barrissements. Un chœur éclate… Je devine les visages rouges et suants, les veines gonflées aux tempes, l’aspect pathologique de ceux qui chantent si monstrueusement. Le lustre tremble, les carreaux vibrent. Et moi, je commence à croire que le bruit peut faire mourir… — Deux heures. — Une pause. Les énergumènes se taisent, pour écouter l’un d’entre eux gémir une romance sentimentale en s’accompagnant au piano avec un doigt, – et le coude aussi, du moins cela en a l’air. Il a la voix la plus fausse, tape des notes inattendues cependant après l’innommable vacarme, sa stupide romance a la fraîcheur d’une oasis. Mais quand elle s’achève… Évidemment, les écouteurs ont profité de cette trêve pour boire de la belle façon ; leur énergie renouvelée atteint au paroxysme. Comment dire ce que c’est ! Je songe à descendre au bureau de l’hôtel, à réclamer la police, à me jeter par la fenêtre… Et je reste immobile, paralysée, abrutie. — Deux heures et demie. — Je suppose qu’ils portent des toasts ; car, à certains moments, la masse amorphe du son prend une forme, toutes ces voix hurlent : Hoch ! puis la confusion recommence. Et le fracas se développe, se répand… Je ne doute pas qu’on l’entende jusqu’en Italie. Nombre de ces garçons devraient s’être cassé les artères cérébrales, depuis plus de quatre heures qu’ils poussent ces cris effarants, mais non. De minute en minute, leur puissance sonore gagne de l’intensité…