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un voyage

La pluie même est gaie dans ce pays béni. Cependant il y a de la boue sur les pavés, et une impression générale de saleté. Mais l’air humide est doux et caressant. À peine dehors, je rencontre l’odeur d’huile, d’ammoniaque, de poussière et de tubéreuse, mêlée dans mon souvenir aux nobles architectures, à tant de songes, de joies spirituelles. C’est une odeur puissante, chaude, on ne la perçoit pas seulement avec l’odorat, ni même avec le goût. On dirait qu’elle vous touche le visage, qu’en marchant on la déchire comme une substance résistante.

Quel plaisir de revoir les fruiteries qu’éclairent des chandelles enfermées dans du papier de couleur, les paquets de raisins suintant leur sucre, les grenades vernissées. Et cette foule contente de vivre, d’être dehors ! Tous ont l’air de sortir pour communiquer les plus importantes nouvelles. On cause, on fait des gestes, on a mille choses à se dire. Et ce goût de chacun pour tous les autres, cette curiosité, cette sympathie que l’on sent autour de soi rendent le cœur plus humain.

Ma promenade me conduit jusqu’à Santa-Maria Antica. Devant l’église, sur la petite place resserrée, les monuments des Scaliger se pressent.

Derrière la grille bizarrement articulée et qui, lorsqu’on la touche, est parcourue tout entière d’un large frisson vivant, j’aperçois les formes confuses et compliquées des tombes et, au sommet, mieux visibles sur le ciel, des cavaliers que l’ombre rend tragiques.