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bologne

Elle demande que ce ne soit pas vrai, qu’on détourne d’elle cette torture, que cela n’arrive pas, cela, dont elle a peur, si abominablement peur ! et que là-haut, dans le ciel, on veuille avoir pitié. Elle se lève avec effort, marche jusqu’à la chapelle voisine, s’effondre, et recommence son imploration. Je suis la pauvre créature tout autour de l’église. Chaque fois qu’elle repart elle a moins de courage, moins d’espoir. Sa figure paraît fondre comme une cire, et se défaire sous l’action d’une prodigieuse douleur. Elle sort enfin. La porte retombée, elle s’arrête avant de descendre les marches, serre d’un navrant geste frileux son châle à ses épaules maigres. Elle voudrait tenir moins de place. Et ses yeux clignent, brûlés par la lumière. Les bruits vifs du dehors, le mouvement, l’animation, la percent comme des couteaux, cette désolée. Elle hésite avant de se mêler à la vie, elle qui ne peut plus vivre. Puis, à petits pas rapides, le dos courbé, elle s’en va humble et si douloureuse, sûre que, cette fois encore, sa prière reste inexaucée.

Elle ne m’a pas vue. Elle ignore ma pitié profonde et ma tendresse…

Les inconnus qui passent en riant sont loin de nous, étrangers, mystérieux. La joie d’autrui, comment la comprendre ! Mais les souffrants, il semble qu’on les a rencontrés ailleurs ; on pénètre leur lamentable histoire, ils sont proches. À peine on les aperçoit, on les reconnaît : ces frères !