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qui elle se promenait en tête-à-tête familier dans les jardins. Vous serez bien heureuse dans la société d’un tel mari. »

Éveline ne répondit pas pendant quelques instants, puis elle s’arrêta soudain, et, se tournant inopinément vers Caroline :

« Chère Caroline, lui dit-elle vivement, d’un ton inquiet jusqu’aux larmes, vous qui êtes si raisonnable, si bonne, conseillez-moi, dites-moi ce que je dois faire. Je suis bien malheureuse. »

Miss Merton fut étonnée et touchée de la vive émotion d’Éveline.

« Mais qu’y a-t-il, ma pauvre Éveline ? dit-elle ; pourquoi êtes-vous malheureuse ? vous dont le sort me paraît si digne d’envie !

— Je ne puis aimer lord Vargrave ; je frémis à l’idée de l’épouser. Ne dois-je pas le lui dire franchement ? Ne dois je pas lui dire que je ne puis accomplir le vœu de… oh ! c’est là la pensée qui me cause tant d’irrésolution ! Son oncle m’a laissé, à moi qui n’avais sur lui nul droit de parenté, la fortune qui aurait dû appartenir à lord Vargrave, dans la ferme confiance que le don de ma main lui restituerait cette fortune. La lui refuser, c’est presque commettre un larcin. Ne suis-je pas bien à plaindre ?

— Pourquoi ne pouvez-vous pas aimer lord Vargrave ? S’il n’est plus de la première jeunesse, il est encore beau : il est même plus que beau. Il a un air de noblesse, un regard qui fascine, un sourire qui séduit, des manières qui plaisent, un talent qui commande le respect dans le monde ! Beau, spirituel, admiré, distingué, qu’est-ce qu’une femme peut souhaiter de plus chez son amant, son mari ? Avez-vous donc imaginé quelque idéal de l’homme que vous vous sentez capable d’aimer ? Et en quoi lord Vargrave diffère-t-il de cette création de vos rêves ?

— Si j’ai jamais imaginé un idéal ? oh ! oui ! s’écria Éveline avec un noble enthousiasme, qui illumina ses yeux, colora ses joues et fit palpiter son sein sous les plis de sa robe ; quelqu’un que je pusse vénérer tout en l’aimant ; un esprit qui élèverait le mien ; un cœur qui comprendrait ma faiblesse, mes folles idées, mes sentiments romanesques si vous voulez, et en qui je pourrais concentrer toute mon âme !

— Vous me faites là le portrait d’un maître d’école, et non pas celui d’un amant, dit Caroline. Peu vous importe, alors, que votre héros soit jeune et beau ?