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révérend Charles Merton, recteur de Merton, frère de sir John, et possesseur d’un revenu qui, grâce à son riche bénéfice, à la fortune de sa femme et à la sienne, assez considérable aussi, se montait à quatre ou cinq mille livres sterling[1] par an. Un pareil revenu administré avec intelligence, aussi bien qu’avec générosité, ne pouvait manquer de lui procurer toutes les bonnes choses de ce monde : le respect de ses amis entre autres. Caroline avait raison de dire à Éveline que son papa ne ressemblait en rien à un simple curé de village.

Or, ce gentilhomme ne pourrait manquer de sentir tous les justes droits qu’avait Éveline à l’estime, et plus encore au respect, non-seulement de lui-même, mais de toute sa famille. Une jeune beauté possédant une fortune d’environ le quart d’un million de livres sterling était un phénomène auquel on pouvait véritablement donner le nom de céleste. Son importance était rehaussée encore par l’engagement qui la liait à lord Vargrave, engagement qui pouvait se rompre plus tard. De sorte que, selon lui, ce qui pouvait arriver de plus triste à cette jeune demoiselle, c’était d’épouser un ministre d’État habile et influent, un pair du royaume ; mais elle était parfaitement libre d’épouser un plus grand personnage encore, si elle en rencontrait un. Qui sait si, plus tard, l’attaché d’ambassade, dans le cas où il obtiendrait un congé ?… M. Merton avait trop d’esprit pour poursuivre davantage cette pensée, quant à présent.

L’excellent homme fut scandalisé de la manière par trop familière dont mistress Merton parlait à cette héritière, prédestinée à de si grands honneurs ; scandalisé de ce qu’elle eût voyagé jusque-là sans femme de chambre ; scandalisé à la vue de ses vêtements simples et primitifs. La pauvre enfant ! M. Merton était connaisseur en fait de toilettes féminines. Il lui était fort pénible de voir à quel point l’infortunée jeune fille avait été négligée. Lady Vargrave devait être une bien singulière personne. Il demanda d’un ton compatissant si on ne lui accordait pas d’argent pour ses menus-plaisirs ? Ayant appris, à son grand soulagement, que, sous ce rapport, miss Cameron était abondamment pourvue, il suggéra l’idée qu’on lui procurât sur-le-champ une femme de chambre convenable ; et qu’on écrivît immédiatement à Londres, afin de commander à madame Devy[2] les effets qui

  1. 100,000 à 125,000 francs.
  2. Couturière française en vogue à Londres.