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lui-même que c’était bien là son but, il avait formé à Douvres le projet de partir directement pour Burleigh en toute hâte, et d’écrire simplement à Cleveland qu’il était de retour en Angleterre. Mais son cœur ne voulut pas lui permettre de savourer la cruelle jouissance de cette mortification de soi-même, et lorsqu’il se trouva à un relais de Londres, il fit retourner ses chevaux vers Richmond. Il avait passé deux jours auprès du bon vieillard, et ces deux jours avaient tellement réchauffé et attendri son cœur, qu’il fut épouvanté en voyant combien il s’écartait de ses principes arrêtés. Néanmoins il s’en alla avant que Cleveland eût le temps de découvrir qu’il avait changé ; l’excellent vieillard avait promis de venir le voir sous peu.

Tel était Ernest Maltravers à l’âge de trente-six ans, à l’âge où le corps et l’esprit sont dans leur plus grande perfection, à l’âge où les hommes sentent le plus vivement qu’ils sont citoyens. Et c’était ainsi qu’avec son esprit orné des dons les plus généreux ; dans toute la plénitude de son énergie morale ; dans toute la vigueur d’un tempérament auquel une vie de rude activité avait donné une seconde jeunesse plus robuste encore que la première ; habitué par une sévère expérience à vaincre, presque sans effort, toutes les imperfections et tous les défauts qui résultaient auparavant d’une imagination trop vive, et d’une trop grande exigence de vertu dans les actions humaines ; fait pour rendre à ses semblables les services les plus brillants et les plus durables, et pour posséder lui-même le bonheur que donne une imagination calmée, un cœur généreux, et une conscience satisfaite ; c’était ainsi qu’aidé d’ailleurs par tous les avantages de la fortune et de la naissance, Ernest Maltravers condamnait obstinément son génie, sa vie, son âme, à se renfermer au fond de leurs feuilles épineuses, se refusant à servir les sots et les misérables, formés pourtant de la même poussière que lui, et créés par le même Dieu. Philosophie maussade et malsaine, enfantée par une âme fière, et par un cœur solitaire !