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jeune homme robuste de membres et joyeux d’humeur. Le bras étendu du conducteur ne laissa à ma mère que peu de temps pour s’opposer à mes désirs, auxquels mon père consentit par un silencieux serrement de mains. Après avoir promis de les rejoindre dans un hôtel voisin du Strand, et que M. Squills leur avait recommandé parce qu’il était tranquille et bien fréquenté, je fis un dernier geste d’adieu à ma pauvre mère, qui ne cessa de me regarder par la portière que lorsque la voiture fut emportée au milieu d’un nuage pareil à ceux qui enveloppaient les héros d’Homère. Je rentrai ensuite à la maison pour fourrer quelques objets de première nécessité dans un petit sac, que je me rappelais avoir vu dans la décharge et qui avait appartenu à mon grand-père maternel. Ce sac sur l’épaule et un gros bâton à la main, je me mis en marche pour la grande ville, d’un pas aussi léger que si le prochain village avait été le but de ma course. Aussi vers midi je me sentis las et tourmenté par la faim ; et voyant sur le bord de la route une de ces jolies auberges qu’on trouve encore en Angleterre, mais qui, grâce aux chemins de fer, seront bientôt reléguées parmi les choses d’avant le déluge, je m’assis à une table sous un berceau de tilleuls, débouclai mon sac et ordonnai mon menu avec la dignité de celui qui, pour la première fois de sa vie, commande son dîner et le paye de sa poche.

Tandis que j’étais occupé à expédier une tranche de lard et un pot de ce que le maître de l’auberge appelait no mistake (pas de méprise), deux piétons voyageant sur la même route s’arrêtèrent, jetèrent simultanément un coup d’œil sur ce que je faisais, et, séduits sans doute par mon exemple, s’assirent sous les mêmes tilleuls, mais à l’autre bout de la table. J’examinai les nouveaux venus avec la curiosité naturelle à mon âge.

Le plus âgé des deux pouvait avoir atteint la trentaine, quoique des rides profondes, des couleurs florissantes autrefois, aujourd’hui fanées, annonçant la fatigue, les soucis ou la débauche, eussent pu le faire paraître plus vieux. Son extérieur n’avait rien de bien prévenant. Il était vêtu avec une prétention peu convenable pour un homme qui voyage à pied. Son habit était étroit et ouaté ; deux énormes épingles réunies par une chaîne décoraient un col très-roide en satin bleu parsemé d’étoiles jaunes ; ses mains enfermées dans des gants très-foncés, qui avaient été jadis couleur paille, jouaient avec une canne