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pour ne pas faire dire : « Le propriétaire veut tirer le meilleur parti de sa terre, mais non de son argent. »

Cependant l’empressement de la vieille à gagner six pence m’avait donné une idée peu favorable du caractère de son maître. « Voici, pensai-je, tous les signes de la richesse ; et pourtant cette pauvre vieille, qui vit sur le seuil de l’opulence, se trouve avoir besoin de gagner six pence. »

Ces conjectures, à propos desquelles je me félicitais de ma pénétration, furent changées en certitude par les quelques mots que je parvins enfin à tirer de la vieille.

« M. Trévanion doit être riche ?

— Oh ! oui, riche assez, » grommela mon guide.

Je parcourais du regard une plantation de jeunes arbres par où passait notre chemin, qui, après avoir traversé des prairies et des clairières et un verger de superbes arbres fruitiers, descendait en un vallon, puis remontait une colline ; car chaque inégalité de terrain avait été utilisée pour l’avantage du point de vue. À chaque pas, nous découvrions quelque gracieux produit de l’art ou de l’enchanteresse nature, et je dis :

« Il doit employer ici beaucoup de bras… Il y a abondance d’ouvrage, n’est-ce pas ?

— Oui, oui ; je ne dis pas qu’il ne donne pas de travail à ceux qui en manquent ; mais ce n’est plus comme dans mon temps.

— Vous vous rappelez donc les anciens maîtres ?

— Oui, oui. Lorsque les Hogtons possédaient ce domaine, les braves gens ! mon mari était jardinier. Ce n’était pas un de ces beaux messieurs qui ne savent pas manier une bêche. »

Pauvre fidèle vieille !

Je commençais à haïr ce propriétaire, que je ne connaissais pas. C’était évidemment quelque usurpateur parvenu, qui, après avoir évincé une ancienne famille simple et hospitalière, négligeait les vieux serviteurs, ne leur laissait gagner que quelques petites pièces à montrer des chutes d’eau, et les insultait par son opulent égoïsme.

« Voici les eaux ; ah ! ce n’était pas ainsi de mon temps, » dit mon guide.

Un petit ruisseau, dont j’entendais depuis longtemps le murmure, se montra soudain à notre vue et ajouta un nouveau charme à ce paysage. Puis, étant retombés dans le si-