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n’avais jamais pensé à sa fortune ; ou si cette pensée m’était venue, ç’avait été pour me faire trembler et pâlir, et puis pour se dissiper à sa vue comme un fantôme au point du jour. Combien il est difficile de prouver toutes les inégalités de la vie à un jeune homme qui voit tout l’avenir devant lui, et qui remplit cet avenir de palais dorés ! Dans mon roman fantastique et sublime, lorsque je regardais dans ce grand futur, je me voyais orateur, homme d’État, ministre, ambassadeur, Dieu sait quoi encore ! et déposant aux pieds de Fanny des lauriers que je prenais pour des inscriptions de rentes.

Quoi que Fanny ait pu découvrir sur l’état de mon cœur, ce cœur était un abîme qui, aux yeux de Trévanion et de lady Ellinor, ne valait pas la peine d’être sondé. Le premier, comme on peut le supposer, était trop occupé pour penser à de pareilles vétilles. Quant à lady Ellinor, elle me traitait en véritable enfant, presque comme son enfant à elle, tant elle était bonne pour moi. Mais elle ne voyait guère ce qui se passait autour d’elle. Toujours absorbée par les charmes d’une conversation brillante avec des poètes, des hommes d’esprit, de grands politiques, sympathisant avec tous les travaux de son mari, occupée de projets orgueilleux d’agrandissement, lady Ellinor vivait d’une vie d’excitation. Ses grands yeux, qui lançaient des éclairs de fiévreux mécontentement, semblaient chercher dans le lointain quelque nouveau monde à conquérir ; le monde qu’elle avait sous ses pieds échappait à sa vue. Elle aimait sa fille, elle en était fière, elle mettait en elle une confiance superbe, elle ne la surveillait pas. Lady Ellinor était seule debout sur une montagne au milieu d’un nuage.


CHAPITRE II.

Un jour les Trévanion étaient tous allés à la campagne faire visite à un ancien ministre, parent éloigné de lady Ellinor ; c’était un homme du très-petit nombre de ceux que Trévanion daignait consulter. J’eus presque un jour entier de