Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/185

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sante ; il y avait quelque chose de si bienveillant dans ses manières, dans son caractère ! et il comprenait si bien les femmes ! il flattait leurs faibles avec tant de finesse ! il commandait leurs affections avec une dignité si gracieuse ! il savait surtout si bien s’y prendre pour les intéresser par ses qualités, sa réputation, son long célibat et la douce mélancolie de ses sentiments ! Il n’y avait pas de femme charmante qui ne se crût sur le point de prendre cet homme charmant. Sir Sedley était comme une belle truite qui, dans un clair ruisseau, nage pensive aux environs de la mouche de votre hameçon, ne sachant encore si elle se décidera à la gober. Quelle truite ! et quel dommage d’y renoncer lorsqu’elle paraît si bien disposée ! Cette truite, belle demoiselle ou gentille veuve, vous eût tenue, depuis le matin jusqu’à la rosée du soir, fouettant le ruisseau et traînant votre mouche. Je ne souhaite certes rien de pire à mon plus cruel ennemi de vingt-cinq ans qu’un rival de quarante-sept, tel que Sedley Beaudésert.

Fanny me jetait dans une perplexité insupportable. Quelquefois je m’imaginais qu’elle m’aimait ; mais à peine cet espoir m’avait-il fait frémir de plaisir, qu’il s’évanouissait dans la glace d’un regard indifférent ou le froid éclat d’un rire sarcastique. Enfant gâtée du monde, elle était si innocente dans l’exubérance de son bonheur, qu’on oubliait tous ses défauts dans l’atmosphère de joie qu’elle répandait autour d’elle. Et puis, malgré sa gentille insolence, elle avait un si bon cœur de femme ! Dès qu’elle s’apercevait qu’elle vous avait fait de la peine, elle devenait si douce, si séduisante, si humble, qu’elle guérissait bien vite votre blessure. Mais alors voyait-elle qu’elle vous avait fait trop de plaisir, la petite fée n’avait de cesse qu’après vous avoir de nouveau tourmenté. Héritière d’un père ou plutôt d’une mère si riche (car la fortune venait de lady Ellinor), elle était naturellement entourée d’admirateurs qui n’étaient pas tout à fait désintéressés. Elle avait raison de les tourmenter ; mais moi !…

Pauvre garçon que j’étais, pourquoi lui aurais-je paru plus désintéressé que les autres ? Comment aurait-elle vu tout ce qu’il y avait au fond de mon jeune cœur ? N’étais-je pas, selon le monde, le moins digne de ses poursuivants, et ne pouvais-je pas paraître, par conséquent, le plus avide ? moi qui