Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/188

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Je m’arrêtai. Sir Sedley me regarda fixement de ses grands yeux bleu foncé.

« Eh bien, Mlle Trévanion, par exemple ?…

Mlle Trévanion, qui a autour d’elle tout ce qu’il y a de plus élégant à Londres, vous préfère évidemment à tout le monde. »

Je dis cela tout d’un trait. J’étais fermement décidé à sonder la profondeur de mes craintes. Sir Sedley se leva, posa doucement sa main sur la mienne et me dit :

« Ne vous laissez pas tourmenter par Fanny Trévanion plus encore que par son père !

— Je ne vous comprends pas, sir Sedley !

— Mais moi, je vous comprends, et c’est plus important. Une fille comme Mlle Trévanion est cruelle jusqu’à ce qu’elle découvre qu’elle a un cœur. Il n’est pas prudent de risquer le sien avec une femme qui n’a pas cessé d’être coquette. Mon cher jeune ami, si vous preniez la vie moins au sérieux, je vous épargnerais l’ennui de ces conseils. Les uns sèment des fleurs, d’autres plantent des arbres. Pour vous, vous plantez un arbre, sous lequel vous apercevrez bientôt qu’il ne peut croître aucune fleur. Et encore cela serait parfait, si l’arbre pouvait durer assez pour porter des fruits et donner de l’ombre ; mais prenez garde d’être obligé de l’arracher un jour ou l’autre : car alors qu’arrivera-t-il ? c’est que vous arracherez toute votre vie avec ses racines ! »

Sir Sedley dit ces derniers mots avec une telle énergie que je sortis tout à coup du trouble que j’avais éprouvé au commencement de son allocution. Il fit une longue pause, frappa sur sa tabatière, huma lentement une prise, et continua avec l’enjouement qui lui était habituel :

« Allez dans le monde autant que vous pourrez. Je vous le répète, amusez-vous ! Et je vous le demande encore une fois : À quoi vous servira tout ce travail ? Certains hommes, beaucoup moins haut placés que Trévanion, se croiraient obligés à vous ouvrir une carrière, à vous assurer un emploi public. Pour lui, non. Il ne voudrait pas engager un pouce de son indépendance en demandant une faveur à un ministre. Il croit tellement que le travail fait le bonheur de la vie, qu’il vous en fournit par pure affection. Votre avenir ne lui trouble pas la tête. Il suppose que votre père y pourvoira, et ne réfléchit