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Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/198

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— Non, Pisistrate ; c’est vous qui lirez, et ce crépuscule est ce qui convient le mieux au livre que je vais vous ouvrir. »

Ce disant, il avança un fauteuil entre ma mère et moi, et s’assit gravement. D’abord il tint longtemps les yeux baissés, puis il nous regarda l’un après l’autre.

« Ma chère femme, dit-il enfin d’un ton presque solennel, je vais parler de moi, tel que j’étais avant de vous connaître. »

Malgré l’obscurité du crépuscule, je vis pâlir ma mère.

« Vous avez respecté mes secrets en épouse tendre et fidèle, Catherine. Aujourd’hui le temps est venu de vous les dire, à vous et à notre fils. »


CHAPITRE V.

Premier amour de mon père.

« Je perdis ma mère de bonne heure. Mon père (un brave homme, mais si indolent qu’il quittait rarement son fauteuil et restait souvent des jours entiers sans mot dire, comme un derviche indien), mon père nous laissa, Roland et moi, faire nous-mêmes notre éducation selon nos propres goûts. Roland tirait, chassait, pêchait, lisait tous les poèmes et livres de chevalerie qu’il trouvait dans la bibliothèque paternelle, riche en ouvrages de ce genre, et faisait une foule de copies du vieil arbre généalogique, seul objet qui ait jamais excité chez mon père un grand intérêt. J’éprouvai dès mon enfance une vive passion pour des études plus sérieuses, et j’eus le bonheur de trouver dans M. Tibbets un maître qui, sans sa modestie, bonne Kitty, serait devenu le rival de Porson. C’était un second Budée pour l’ardeur au travail, et, soit dit en passant, il répétait exactement la même chose que Budée, savoir : que le seul jour qu’il eût perdu dans sa vie avait été celui de son mariage, parce que ce jour-là il n’avait eu que six heures pour lire ! Sous un tel maître je ne pouvais manquer de devenir savant. Je