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l’autre aristocratie, bien inférieure à la première. Il ne faut pas perdre cela de vue dans le cours de mon histoire.

« Lady Ellinor partageait les goûts et les idées de son père (elle n’était pas alors une héritière). Lord Rainsforth me parla de mon avenir. C’était le temps où la révolution française avait forcé les hommes d’État à regarder autour d’eux avec anxiété, afin de chercher à fortifier l’ordre de choses existant par une alliance avec tous ceux de la génération nouvelle qui faisaient preuve d’assez d’habileté pour exercer quelque influence sur leurs contemporains.

« Les honneurs universitaires sont, ou du moins étaient autrefois, un passe-port pour entrer dans la vie politique. Bientôt lord Rainsforth m’aima au point de m’offrir un siège dans la Chambre des communes. Un membre du parlement peut s’élever à tout, et lord Rainsforth avait assez d’influence pour assurer mon élection. C’était là un avenir éblouissant pour un jeune homme tout frais sorti de Thucydide, et qui sait encore son Démosthène sur le bout du doigt. Mon cher fils, je n’étais pas alors, vous voyez, ce que je suis maintenant ; en un mot, j’aimais Ellinor Compton : c’est pour cela que j’étais ambitieux. Vous savez combien elle est ambitieuse encore. Mais je ne pouvais modeler mon ambition sur la sienne. Je ne pouvais penser à entrer dans le sénat de mon pays, comme le subordonné d’un parti ou d’un protecteur, comme un homme qui doit y faire sa fortune, comme un homme qui, dans chacun de ses votes, doit penser à s’avancer vers un poste plus avantageux. Je n’étais pas même certain que les vues politiques de lord Rainsforth fussent d’accord avec les miennes. Comment la politique d’un homme qui a l’expérience du monde pouvait-elle être celle d’un jeune enthousiaste ? Mais, lors même que nous eussions été d’accord sur ces matières, je sentais que je ne pourrais jamais être sur un pied d’égalité avec la fille d’un protecteur. Non ; j’étais prêt à abandonner mes prédilections pour la science, à me faire violence, à entrer dans la carrière du barreau pour me frayer ainsi un chemin à la fortune. Et puis, si j’arrivais à l’indépendance, alors, eh bien ! alors j’aurais le droit de parler d’amour et d’avoir de l’ambition.

« Ce n’était pas la manière de voir d’Ellinor Compton. L’étude des lois lui semblait un travail vétilleux et inutile ; il n’y avait là rien qui pût captiver son imagination. Elle m’écoutait avec