Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce charme qu’elle conserve encore, et par lequel elle semble s’identifier avec ceux qui lui parlent. Elle tournait vers moi un regard, argument puissant, lorsque son père s’étendait sur le brillant avenir qui s’ouvre devant un succès parlementaire ; car n’ayant pas eu de ces succès, et ayant vécu avec ceux qui en avaient eu, il les estimait plus qu’ils ne valaient, et paraissait toujours souhaiter d’en jouir par l’entremise d’un autre. Mais quand, à mon tour, je parlais d’indépendance, de barreau, le visage d’Ellinor s’assombrissait. Le monde… le monde était en elle, et l’ambition du monde qui cherche toujours le pouvoir et l’effet.

« Une partie du château était exposée au vent d’est.

« Faites une plantation à mi-côte de la colline, dis-je un jour.

— Une plantation | s’écria lady Ellinor, il faudra vingt ans avant que les arbres aient grandi ! Non, mon cher père, bâtissez une muraille et couvrez-la de plantes grimpantes ! »

« Cela vous donne une idée de tout son caractère. Elle n’avait pas la patience d’attendre que les arbres eussent grandi ; une muraille était bien plus vite élevée, et des parasites grimpants devaient faire un bien plus bel effet. Néanmoins, c’était un grand et noble caractère ; et moi… j’étais amoureux, et pas aussi découragé qu’on le peut supposer ; car lord Rainsforth me donnait souvent des encouragements indirects, qu’il n’était pas possible d’interpréter autrement. S’inquiétant peu du rang et ne souhaitant à sa fille qu’une fortune raisonnable, il voyait en moi tout ce qu’il cherchait : un jeune homme d’ancienne famille, dans lequel son esprit actif pourrait poursuivre le même genre d’ambition intellectuelle qui débordait en lui-même, ambition à laquelle cependant il n’avait jamais donné d’issue. Et Ellinor !… le ciel me préserve de dire qu’elle m’aimât ! mais quelque chose me faisait penser qu’elle pourrait m’aimer un jour. Dans cet état de choses, supprimant toutes mes espérances, je fis un violent effort pour me rendre maître des influences qui m’entouraient, et pour embrasser la carrière qui me semblait la plus digne de nous tous. Je partis pour Londres afin d’y étudier le droit.

— Le droit ! est-il possible ? » m’écriai-je.

Mon père sourit tristement.

« Tout me paraissait possible alors. J’étudiai pendant quel-