Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/205

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coup, mais peut-être un peu, deux, ou trois, ou six hommes à la fois ?

— Impossible ! s’écria ma mère. Et quant à cette lady Ellinor, je suis choquée de sa… je ne sais vraiment quel nom donner à cela !

— Ni moi non plus, mon amie, dit mon père en retirant lentement la main de dessous son gilet, comme si cet effort eût été trop grand et le problème insoluble pour lui. Mais je crois, et je vous en demande pardon, qu’avant d’avoir concentré réellement, sincèrement et cordialement ses affections sur un seul objet, une jeune femme laisse son caprice, son imagination, le désir du pouvoir, la curiosité, ou Dieu sait quoi, simuler de pâles reflets de l’astre qui n’est pas encore levé, des parhélies qui précèdent le soleil. Ne jugez pas le Roland d’autrefois d’après ce que vous le voyez maintenant, Pisistrate, laid, grisonnant, formaliste. Imaginez-vous un caractère qui prend l’essor et s’élève à d’audacieuses pensées, un caractère luxuriant de l’inexprimable poésie de la jeunesse ; un corps sans rival pour sa bondissante élasticité, un cœur d’où les nobles sentiments jaillissaient comme les étincelles du fer rouge qu’on bat sur l’enclume. Lady Ellinor avait l’imagination ardente, curieuse. Ce caractère hardi, impétueux, devait l’intéresser vivement. D’un autre côté, elle avait l’esprit cultivé et avide de savoir. Est-ce orgueil chez moi de dire, après tant d’années écoulées, que son esprit trouvait dans le mien un compagnon qui lui plaisait ? Lorsqu’une femme aime, se marie, s’établit, elle devient… un tout ; c’est un être complété. Mais une jeune fille comme Ellinor a en elle plusieurs femmes. Variable elle-même, toutes les variétés lui plaisent. Je crois que, si l’un de nous s’était prononcé hardiment, Ellinor se serait retirée dans le fond de son cœur. Elle l’aurait examiné, scruté, et elle aurait donné une réponse franche et généreuse. Et celui qui se fût déclaré le premier eût eu sans doute la meilleure chance de ne pas essuyer un refus. Mais aucun ne parla. Et peut-être était-elle plus curieuse de savoir si elle avait fait impression que vraiment désireuse de la faire. Ce n’était pas qu’elle nous trompât volontairement, mais toute l’atmosphère qui l’entourait était trompeuse. Les brouillards précèdent le lever du soleil. Quoi qu’il en soit, Roland et moi, nous nous fûmes bientôt devinés l’un l’autre. De là