Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/223

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dans notre chambre, ou bien nous vaguons par les rues ou par les champs ; car dans nos jeunes années nous sommes encore les sauvages de la nature, et nous faisons comme la brute ; le cerf blessé erre à l’écart du troupeau ; le chien fidèle se réfugie dans un coin, quand son cœur est oppressé. Aussi je m’esquivai de l’hôtel et me mis à parcourir les rues désertes. C’était au lever de l’aube, l’heure la plus triste du jour, à Londres surtout. Dans cet air froid et humide, je ne sentais que fraîcheur, et que calme dans ce silence désolé. L’amour que mon oncle inspirait était d’une nature très-remarquable ; il ne ressemblait pas à cette affection tranquille dont se contentent le plus souvent ceux qui sont avancés dans la vie, car il s’y mêlait cet intérêt plus vif qu’excite la jeunesse. Il y avait encore en lui tant de feu et de vivacité, dans ses erreurs et ses caprices tant de cette illusion du jeune âge, qu’il était difficile de se l’imaginer autrement que jeune. Ces idées don-quichottiquement exagérées sur l’honneur, ces sentiments romanesques, que (chose singulière à une époque où tous les jeunes gens se disent blasés à vingt-deux ans !) n’avaient pu détruire ni privations, ni soucis, ni chagrins, ni déceptions, semblaient lui conserver tout le charme de la jeunesse. Une saison à Londres m’avait fait plus homme du monde et plus vieux de cœur que mon oncle. Pourtant, le chagrin le rongeait avec un muet acharnement. Ah ! le capitaine Roland était un de ces hommes qui s’emparent de vos pensées et se mêlent à votre vie ! L’idée que Roland pouvait mourir, mourir sans que son cœur fût soulagé du poids qui l’oppressait, était une idée qui me semblait enlever un ressort à la machine de la nature, et à la vie, à ma vie du moins, un de ses objets. Car je m’étais imposé, comme un des buts de mon existence, de ramener le fils à son père, et de faire renaître sur la courbe sévère de ces inflexibles lèvres le sourire qui avait dû être si gai.

Roland est hors de danger. Mais, semblable à celui qui vient d’échapper au naufrage, je tremble à l’aspect du danger passé ; la voix de l’abîme dévorant mugit encore à mon oreille.

Tandis que j’étais plongé dans mes rêveries, je m’arrêtai machinalement pour écouter une horloge qui sonnait quatre heures ; puis, jetant un coup d’œil autour de moi je m’aperçus