Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/234

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n’aurait pas eu de danger s’il avait été accompagné d’un caractère léthargique ; mais il menaçait de devenir terrible chez un individu qui, à défaut d’imagination, avait abondance de passions : et c’était là le cas de notre jeune proscrit. Les passions excitaient en lui les pires émotions qui combattent contre le bonheur de l’homme. Vous ne pouviez le contredire sans le mettre aussitôt en colère ; vous ne pouviez lui parler de fortune sans qu’une convoitise dévorante vînt faire pâlir ses joues. Les grands avantages naturels de ce pauvre garçon, sa beauté, sa vivacité, l’esprit audacieux qui le remplissait comme d’une atmosphère de feu, avaient changé son amour-propre en une arrogance qui prévenait contre lui tous ceux qui l’eussent admiré. Irascible, envieux, hautain, voilà déjà bien assez de défauts ; mais il aurait pu être pire encore, car ses angles saillants étaient vernis d’un cynisme froid et repoussant qui faisait que ses passions s’exhalaient en ironie. Il ne paraissait y avoir en lui aucune susceptibilité morale ; et, chose plus remarquable en un caractère orgueilleux, il ne savait rien où peu de chose du véritable point d’honneur. Il avait, à un excès morbide, ce désir qu’on appelle vulgairement ambition ; mais il ne paraissait pas avoir le désir de la renommée, de l’estime, de l’amour de ses semblables. Il voulait réussir, mais non briller ni être utile ; réussir, seulement afin d’avoir le droit de mépriser un monde qu’il haïssait, et de jouir des plaisirs que son tempérament luxuriant et nerveux semblait réclamer avec instance.

Tels étaient les attributs les plus saillants d’un caractère qui, tout mauvais qu’il fût, m’intéressait cependant ; qui me paraissait pouvoir être corrigé et même contenir les éléments d’une certaine grandeur. Ne peut-on arriver à faire quelque chose de grand d’un jeune homme au-dessous de vingt ans, et qui possède au suprême degré l’intelligence qui conçoit et le courage qui exécute ? D’un autre côté, les facultés qui nous font grands contiennent celles qui nous font bons. Dans le sauvage Scandinave, dans l’impitoyable Frank, il y a les germes d’un Sydney et d’un Bayard. Que serait le meilleur d’entre nous, s’il se trouvait tout à coup en guerre avec tout le monde ? Et ce farouche esprit était en guerre avec tout le monde. Cette guerre, il l’avait cherchée peut-être, mais ce n’était pas moins la guerre. Il faut entourer le sauvage