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— Elle ?… elle est morte ! » dit-il avec émotion.

Je serrai davantage son bras sous le mien.

« Je vous comprends, reprit-il avec son sourire cynique et repoussant. Mais vous avez tort de vous affliger de la perte que j’ai faite. J’en suis affligé, moi ; quant à ceux qui s’intéressent à moi, ils ne devraient pas sympathiser avec ma douleur.

— Pourquoi pas ?

— Parce que ma mère n’était pas ce que le monde appelle une femme comme il faut. Je ne l’en aimais pas moins pour cela… et maintenant changeons de sujet.

— Non. Puisque vous en avez tant dit, Vivian, laissez-moi vous persuader de m’en dire davantage. Votre père n’est-il plus de ce monde ?

— Le Monument n’est-il plus debout ?

— Je suppose que si ; mais qu’est-ce que cela nous fait ?

— Cela nous fait très-peu, à vous et à moi ; ma question répond à la vôtre. »

Je ne pus insister après cela, et je n’en appris pas davantage. Je dois avouer que, si Vivian ne donnait pas libéralement sa confiance, il ne chercha jamais la mienne. Il m’écoutait avec intérêt quand je parlais de Trévanion (je lui avouai franchement mes relations avec ce personnage, mais vous pouvez être sûr que je ne lui dis rien de Fanny) et de la brillante société que m’ouvrait mon séjour auprès de cet homme distingué. Mais si jamais, dans la plénitude de mon cœur, je commençais à parler de mes parents, de la maison paternelle, il témoignait un ennui si impertinent ou prenait un sourire si glacial, que je m’éloignais alors avec indignation et dégoût sans achever le sujet que j’avais commencé.

Une fois surtout que je lui demandai de me permettre de le présenter à mon père (je le désirais vivement, car je ne pouvais m’empêcher de croire que le contact de mon père apprivoiserait le diable qui était en lui), il me répondit avec un sourire méprisant :

« Mon cher Caxton, lorsque j’étais enfant je fus si ennuyé de Télémaque, qu’afin de pouvoir le souffrir je le travestis.

— Eh bien ?

— Ne craignez-vous pas que le même mauvais caractère ne me fasse faire la caricature de votre Ulysse ? »