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Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/246

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— Et vous êtes son secrétaire. Mon cher ami, vous pouvez bien m’exhorter à la patience, car une grande partie de la vôtre vous sera superflue, j’espère.

— Je ne vous comprends pas.

— Cependant vous avez entendu ce jeune homme aussi bien que moi-même ; et vous demeurez dans la même maison que l’héritière.

— Vivian !

— Eh bien ! qu’ai-je dit de si monstrueux ?

— Puisque vous vous en rapportez à ce jeune homme, vous avez entendu aussi ce que lui a dit son camarade. Il faudrait être comte, au moins, pour aspirer à Fanny Trévanion !

— Bah ! autant dire qu’il faut être millionnaire pour aspirer à un million… Moi, je crois que ceux qui gagnent des millions ont commencé avec des pence.

— Cette croyance devrait être une consolation et un encouragement pour vous, Vivian. Et maintenant, bonne nuit… j’ai beaucoup à faire.

— Bonne nuit donc ! » dit Vivian ; et nous nous séparâmes.

Je me dirigeai vers la maison de M. Trévanion, et j’entrai dans son cabinet. Il y avait là un arriéré formidable qui m’attendait, et je me mis d’abord résolument à l’ouvrage ; mais peu à peu mes pensées s’éloignèrent de ces éternels livres bleus, et la plume me glissa de la main au milieu de l’extrait d’un rapport Sur Sierra-Léone. Mon pouls battait fort et vite ; je me trouvais dans cet état de fièvre nerveuse que l’émotion seule peut produire. La douce voix de Fanny résonnait à mes oreilles ; ses yeux, tels que je venais de les voir, pleins d’une douceur extraordinaire, des yeux presque suppliants, me regardaient de quelque côté que je me tournasse. Et puis, j’entendais comme une raillerie ces mots : « Il faudrait être comte au moins pour aspirer à… ! »

Est-ce que j’y aspirais ? Étais-je à ce point insensé ? Étais-je un traître domestique aussi consommé ? Non, non ! Alors qu’est-ce que je fais sous le même toit ? pourquoi rester à absorber ce doux poison qui corrode les ressorts de ma vie ? À ces questions que, si j’avais été d’un ou deux ans plus âgé, je me fusse adressées longtemps auparavant, une terreur mortelle me saisit, mon sang se retira de mon cœur, et je me sentis froid… froid comme glace. Quitter la maison ! quitter Fanny !