Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/376

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verrions pas ce chaos étrange où s’agite une démocratie, géant sauvage et livide, capable de faire trembler Frankenstein, non point parce que c’est un géant, mais parce que c’est un géant demi-complet[1]. Soyez bien convaincu de ceci : le nouveau monde sera l’ami ou l’ennemi de l’ancien, non pas en proportion de la parenté des races, mais en proportion de la ressemblance des mœurs et des institutions. C’est une grande vérité pour laquelle nous avons été aveugles en fondant nos colonies.

Passant de ces théories plus lointaines au cas qui est actuellement devant nous, vous voyez déjà, par ce que j’ai dit, que je sympathise avec vos aspirations, que je les examine conformément à votre désir. Après avoir bien considéré votre caractère et le but que vous poursuivez, je vous donne mon avis en un mot : émigrez !

Mon avis, toutefois, est fondé sur cette hypothèse, que vous êtes parfaitement sincère, que vous vous contenterez d’une vie austère, et d’une fortune modeste à la fin de votre tentative. Ne songez pas à émigrer si vous voulez amasser un million de livres sterling, ou la dixième partie de ce million. Ne songez pas à émigrer, si vous ne pouvez jouir des fatigues de ce genre de vie ; car, vraiment, les supporter ne suffit pas.

L’Australie est le pays qu’il vous faut, comme vous semblez le croire. L’Australie est la terre qu’il faut à deux classes d’émigrants : 1o  à l’homme qui n’a rien que son intelligence et qui en a beaucoup ; 2o  à l’homme qui a un petit capital et qui ne craint pas de passer dix ans à le tripler. J’admets que vous appartenez à cette dernière classe. Prenez avec vous trois mille livres, et, avant que vous ayez trente ans, vous pourrez revenir avec dix ou douze mille livres. Si cela vous satisfait, pensez sérieusement à l’Australie. Je vous enverrai demain par la voiture les meilleurs livres et rapports sur ce sujet ; et je vous procurerai tous les détails que je pourrai trouver au ministère des colonies. Lorsque vous aurez lu tout cela et que vous y aurez réfléchi de sang-froid, passez encore quelques mois

  1. Ces pages étaient sous presse avant que l’auteur eût lu l’ouvrage de M. Wakefield, dans lequel les vues exprimées ici sont développées avec beaucoup de talent et une sagacité remarquable. Et, bien que l’auteur ait le malheur de ne pas toujours être d’accord avec M. Wakefield, il n’en est pas moins satisfait de cette coïncidence d’opinions. (Note de l’auteur.)