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en dit plus au cœur que tous les froids et sages poètes dont mon père évoque les âmes dans sa grande Héraclée. Voilà la Bible que mes yeux, ne sachant pas lire encore, contemplaient avec un vague et respectueux amour, quand elle était ouverte sur les genoux de ma mère, dont la douce voix, seulement alors sérieuse, se faisait l’oracle de ses vérités. Voilà aussi, soigneusement réunis, tous mes premiers livres d’étude. Ce volume enveloppé de papier, mais richement relié bleu et or, c’est un exemplaire des Poèmes de Cowper, présent de mon père, au temps où il faisait sa cour à Kitty ; c’est un trésor sacré, que je n’ai pas moi-même le privilège de toucher, et que ma mère ne prend que dans les grandes épreuves et tribulations de la vie conjugale, alors qu’une parole moins affectueuse que de coutume s’échappe des lèvres du savant distrait. Ah ! ces pauvres dieux familiers, ils semblaient tous me regarder avec une douce colère, et de chacun d’eux sortait une voix qui m’allait au cœur : « Cruel, est-ce que tu nous abandonnes ? » Et au milieu d’eux était assise ma mère, désolée comme Rachel et pleurant en silence.

« Mère, mère ! m’écriai-je en me jetant à son cou, pardonnez-moi ! c’est fini, je ne puis vous quitter ! »


CHAPITRE III.

« Non, non ! c’est pour votre bien… Austin l’a dit. Partez donc… ce n’est que l’émotion du premier moment. »

Alors j’ouvris à ma mère les écluses de ce fleuve profond que j’avais caché au savant et au soldat. À elle je confiai toutes les pensées inquiètes et vagabondes qui avaient parcouru les ruines de mon amour ; à elle je confessai ce que jusqu’alors je m’étais à peine avoué à moi-même. Et lorsque je lui eus montré ce tableau du côté le plus sombre de mon âme, ce fut d’un air plus fier et d’une voix moins émue que je lui parlai ensuite des espérances plus mâles et du but plus noble qui rayonnaient à travers ruines et déserts, et me montraient le port du salut.