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vaise et l’auteur douteux, je sentais, hélas ! et plus vivement encore, que ces qualités dénonçaient l’homme et que le démon était vainqueur.

Nous parcourions de mille en mille et de relais en relais la triste et interminable route du Nord. J’énumérai à mon compagnon, d’une manière plus intelligible que je n’avais pu le faire jusque-là, tous mes motifs de crainte. « Peut-être n’y a-t-il rien de vrai dans tout cela ! » s’écria-t-il. Soyons hommes en cette circonstance ; conservons la tête froide et la raison lucide. En voilà assez ! » Et s’appuyant au fond de la voiture, Roland refusa de continuer la conversation ; puis, la nuit approchant, il parut s’endormir. J’eus pitié de sa fatigue et je rongeai mon cœur en silence.

À chaque relais nous apprenions des nouvelles de ceux que nous poursuivions. D’abord nous n’avions pas une heure de retard ; peu à peu, à mesure que nous avancions, nous perdions du terrain, malgré nos largesses aux postillons. Je supposai à la fin que notre lenteur comparative provenait de ce que nous changions de chaise à chaque relais, en même temps que de chevaux. Vers minuit, au moment où nous arrivions à un nouveau relais, je fis part de cette supposition à Roland. Il appela aussitôt le maître de l’auberge et lui paya le prix qu’il demanda pour pouvoir garder la chaise jusqu’à la fin du voyage. Cela était si contraire à la parcimonie ordinaire de Roland, soit qu’il dépensât son argent ou le mien, et si peu en rapport avec la modicité de nos fortunes, que je ne pus m’empêcher de balbutier quelques mots d’excuse.

« Savez-vous pourquoi j’étais avare ? demanda Roland avec calme.

— Avare ! vous ne l’avez jamais été, mais seulement économe… comme beaucoup de militaires.

— J’étais avare, répéta le capitaine avec emphase ; j’ai commencé à l’être lorsque mon fils n’était encore qu’un enfant. Je le croyais ambitieux et porté à la dépense. « Eh bien ! me suis-je dit, je vais économiser pour lui ; il faut laisser passer l’enfance. Plus tard, lorsqu’il ne fut plus enfant (du moins il commençait à avoir les vices d’un homme), je me disais encore : « Patience il a le temps de se corriger ; j’économiserai afin d’avoir de l’influence sur son égoïsme, si je ne puis en avoir sur son cœur ; je l’entraînerai par corruption dans le chemin de