Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/467

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Tout ce que nous tentâmes fut de nous consoler et de nous fortifier l’un l’autre contre ce qui devait arriver. Nous ne cherchâmes pas à cacher notre chagrin, mais nous nous promîmes sincèrement de lutter contre lui. Si nous échangeâmes quelque promesse, ce fut que chacun pour l’amour de l’autre s’efforcerait de jouir du bonheur que le ciel nous laissait encore. Ah ! je puis bien dire que nous étions des enfants. Je ne sais pas si, dans les paroles qui furent prononcées entre nous, dans les cœurs dont ces paroles révélaient les souffrances, il y avait ce que ceux qui ne veulent voir dans l’amour que tempête et ouragan appellent l’amour d’un âge plus mûr, celui qui anime la poésie et donne des tragédies au théâtre ; mais je sais qu’il n’y avait ni une parole ni une pensée qui fissent de cette douleur d’enfants un acte de rébellion contre le Père qui est aux cieux.

La porte se rouvrit, et Fanny s’avança d’un pas ferme vers sa mère ; puis, s’étant arrêtée, elle me tendit la main, et me dit pendant que je la baisais respectueusement : « Dieu sera avec vous ! »

Un mot de lady Ellinor, un franc sourire de celui qui était mon rival, un dernier regard des doux yeux de Fanny : et puis la solitude se précipita sur moi ; oui, se précipita comme quelque chose de visible, de palpable, d’accablant. Je la sentis dans l’éclat des rayons du soleil ; je l’entendis dans le souffle de l’air ; comme un spectre elle se leva à l’endroit même que Fanny venait de remplir de sa présence. Il me sembla que l’univers avait perdu quelque chose qui ne lui serait jamais rendu. Un changement comme celui de la mort s’opéra dans mon être, et, lorsque je me réveillai pour sentir que je vivais encore, je reconnus que c’était ma jeunesse et sa poésie qui avaient disparu. Je venais de faire, sans m’en douter, ce grand pas sur lequel on ne revient jamais, le pas qui nous fait entrer dans le monde sévère de l’homme laborieux.