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petit ruisseau bordé de saules rabougris. Je regardai autour de moi, et j’aperçus Vivian (car je continuerai de l’appeler ainsi) presque agenouillé et paraissant regarder attentivement quelque chose sur le gazon.

Mon regard suivit machinalement le sien. Un petit oiseau encore sans plumes, qui avait trop tôt quitté son nid, se tenait seul et silencieux sur le gazon court et ras, le bec ouvert comme pour demander sa pâture, le regard fixé sur nous d’un air de rêveuse surprise. Il me sembla qu’il y avait dans cet oiseau abandonné quelque chose qui m’attendrissait davantage en faveur du jeune homme encore plus abandonné, dont il était l’emblème.

« Eh bien ! dit Vivian ; et je ne savais s’il s’adressait à lui-même ou à moi ; l’oiseau est-il tombé du nid, ou a-t-il déserté par caprice ? La mère ne le protège pas. Remarquez que je ne dis pas que c’est la faute de la mère… peut-être que c’est uniquement la faute du vagabond. Mais si la mère est absente, l’ennemi ne l’est pas… voyez-vous, là-bas ? »

Et le jeune homme me montra un grand chat moucheté, que notre importune présence forçait de rester éloigné de sa proie, mais qui n’en continuait pas moins à la guetter à quelques pas, agitant doucement sa queue et lançant de ses yeux ronds ce regard furtif, ébloui par le soleil, regard moitié féroce, moitié craintif, qui appartient à cette race, quand l’homme s’interpose entre l’animal dévorant et la victime.

« Je vois, répondis-je ; mais un passant a sauvé l’oiseau.

— Arrêtez, dit Vivian en me prenant la main, tandis qu’un amer sourire errait sur ses lèvres, arrêtez ! croyez-vous qu’il soit miséricordieux de sauver l’oiseau ? De quoi voulez-vous le sauver, et pourquoi ? D’un ennemi naturel, d’une douleur de courte durée et d’une mort rapide ? Ah ! cela ne vaut-il pas mieux que de mourir lentement de faim, ou de vivre enfermé dans une cage, si vous prenez soin de lui ? Vous ne pouvez le remettre en son nid, vous ne pouvez rappeler la mère. Soyez plus sage dans votre miséricorde ; abandonnez l’oiseau à son sort le plus doux ! »

Je fixai sur Vivian un regard sévère ; sa lèvre avait perdu son amer sourire. Il se leva et s’éloigna. Je voulus prendre le pauvre oiseau : mais, comme il ne connaissait pas ses amis, il se mit à fuir en poussant des cris de détresse ; il courait au-