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plus longtemps que vous, mieux que vous. J’ai eu bien des luttes terribles à soutenir, bien des jours sombres, bien des nuits sans sommeil ! et pourtant… »

Vivian m’arrêta.

« Serait-il vrai ? s’écria-t-il. J’ai cru que vous aviez eu peut-être quelque caprice passager pour Mlle Trévanion, mais que vous l’aviez vaincu et dompté facilement. Oh ! non, si vous l’aviez aimée réellement, comment auriez-vous pu renoncer à toutes vos chances, quitter la maison, fuir loin de sa présence ? Non, non, ce n’était pas de l’amour !

— C’était l’amour véritable ! et je prie le ciel qu’il vous accorde de connaître un jour combien votre passion s’écartait des sentiments qui rendent le véritable amour aussi sublime que l’honneur, aussi humble que la religion ! Oh ! cousin, cousin ! que n’auriez-vous pas pu devenir avec vos rares talents ? que ne pourriez-vous pas devenir encore, si vous passiez par le repentir pour arriver à l’expiation ? Ne parlez pas à présent de votre amour ; je ne parle pas du mien. L’amour s’est retiré de notre vie à tous deux. Revenez à des pensées qui ont précédé celle-là ; songez à des torts plus graves ! Votre père ! ce noble cœur que vous avez si cruellement déchiré, cet amour patient que vous avez si peu compris ! »

Alors, avec toute la chaleur d’une vive émotion, je m’empressai de lui montrer le vrai caractère de l’honneur, et de Roland qui était l’honneur personnifié. Je lui dis les veilles, les espérances, les angoisses dont j’avais été témoin et qui m’avaient fait pleurer, moi, qui n’étais pas le fils de Roland. Je lui dis la pauvreté et les privations auxquelles le père s’était condamné jusqu’au dernier moment, afin que le fils ne pût s’excuser de ses fautes sur la misère, cette mauvaise conseillère des cœurs faibles. Je lui parlai longuement et avec l’éloquence qu’inspire la conviction, je ne souffris aucune interruption, j’étouffai toutes les objections, j’enfonçai pour ainsi dire la vérité comme un clou dans ce cœur endurci, que j’étreignais de toutes mes forces. Enfin cette nature sombre, amère, cynique, fut obligée de céder. Le jeune homme tomba à mes pieds en sanglotant et s’écria :

« Épargnez-moi ! épargnez-moi ! Je vois tout à présent ! Misérable que j’étais ! »