Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ger en léthargie ou l’exciter jusqu’au délire. Lui ouvrir cette issue, c’était lui permettre de couler comme un fleuve qui répand sur ses bords la vie et la fertilité.

La réponse de mon père fut telle que je l’attendais. Elle répétait doucement les vieilles leçons sur la distinction à établir entre les aspirations sincères à la perfection, et la passion morbide des applaudissements qui fait de notre conscience une Babel où viennent se confondre les cris de la foule, que nous prenons pour de la gloire. Mon père ne cherchait pas à s’opposer aux désirs d’un esprit si obstinément porté vers la vie militaire, mais plutôt à le guider et à le fortifier. La mer de la vie humaine est vaste. La sagesse peut nous inspirer dans le voyage ; mais il faut examiner d’abord l’état du navire et la nature des marchandises. Les vaisseaux qui partent de Tarsis ne peuvent tous revenir chargés de l’or d’Ophir. Faut-il pour cela les laisser pourrir dans le port ? Non. Livrez leurs voiles aux vents.

La lettre de Roland à son fils devait, dans mon attente, être pleine de joie et d’exultation. De la joie, il n’y en avait pas ; de l’exultation, il y en avait peut-être, mais une exultation sérieuse, grave, contenue. Dans le consentement que le vétéran donnait à son fils, pour des motifs qui s’accordaient si bien avec son caractère, on remarquait encore du chagrin. Il semblait s’être fait violence pour donner ce consentement. Ce ne fut qu’après avoir relu plusieurs fois cette lettre que je pus deviner les sentiments qu’avait eus Roland en l’écrivant. Aujourd’hui je les apprécie parfaitement. S’il avait envoyé à une noble guerre un jeune homme nouveau, exempt de toute faute, plein d’un enthousiasme pur et sincère, oh ! alors il aurait joyeusement payé son tribut aux armées d’Angleterre ; mais il reconnaissait ici, quoique confusément peut-être, non pas une franche ardeur militaire, mais l’austère désir de l’expiation, et il admettait des pressentiments qu’il aurait repoussés sans cela ; de sorte que, à la fin de la lettre, on eût dit qu’elle avait été écrite par une mère timide et craintive, plutôt que par le bouillant et martial Roland. Des recommandations, des prières de ne pas être téméraire, l’assurance que les meilleurs soldats étaient toujours les plus prudents : telles étaient les exhortations du vétéran qui, à la tête des enfants perdus, était monté à l’assaut de…, son épée entre les dents.