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le deuxième, fut au désespoir le troisième, fit sa déclaration le quatrième, et l’épousa avant le quinzième. Il se hâta de revenir à son établissement avec son trésor, s’imaginant que tout le monde conspirait pour le lui dérober. Sa sœur était tout aussi jolie que sa femme, et elle aussi fut assaillie de prétendants dès qu’elle eut débarqué ; mais elle était romanesque et difficile, et je crois que Guy lui avait dit que je ferais tout juste son affaire.

Cependant, toute charmante qu’elle est, avec ses jolis yeux bleus et le franc sourire de son frère, je n’en suis point épris. Je crois qu’elle a perdu toute chance de conquérir mon cœur le jour où elle a traversé la cour en souliers de satin. Si je dois vivre dans le Bocage, donnez-moi une femme qui monte bien à cheval, qui sache franchir un fossé et m’accompagner, le fusil à la main, quand je vais chasser le kanguroo !… Mais je n’ose énumérer toutes les qualités que demande un mari du Bocage.

Quoi qu’il en soit, ce changement me donne un plus vif désir de revoir l’Angleterre, et cela pour diverses raisons. Dix années se sont écoulées ; déjà ma fortune est beaucoup plus considérable que celle que j’étais venu chercher. Au grand chagrin du brave Guy, j’ai liquidé nos affaires. La société est dissoute ; car il a résolu de passer sa vie dans la colonie, et je n’en suis pas étonné, connaissant la charmante femme qui l’aime de tout son cœur. Guy prend ma part dans la station, et, tous comptes réglés, je dis adieu au Bocage.

Malgré tout ce qui attirait mon cœur vers l’Angleterre, ce ne fut pas sans partager la tristesse de mes vieux compagnons que je pris congé d’eux ; nous ne nous reverrons peut-être plus de ce côté-ci de la tombe. Le plus humble des hommes que j’employais était devenu pour moi un ami. Quand ces mains calleuses saisirent mes mains ; quand de ces poitrines qui avaient si longtemps maudit le monde, il sortit des souhaits de bonheur pour celui qui retournait dans la patrie, avec un tendre souvenir pour cette vieille Angleterre qui ne leur avait été qu’une marâtre, j’éprouvai une sensation inconnue, je crois, à Mayfair et à Saint-James. Je ne pus que balbutier quelques mots entrecoupés de sanglots, moi qui pensais faire un long discours ; et peut-être ces quelques mots firent-ils plus de plaisir à mon auditoire.