Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loisirs qu’il ne l’avait été par ses travaux. Sa vivacité un peu brusque semblait tenir de la fièvre.

J’espère que mon père consentira à le voir souvent, car je sens que cet esprit fatigué a besoin du calmant de l’amitié.

Au moment où la cloche sonnait le second coup, j’entrai dans le salon. Il y avait au moins vingt personnes, dont chacune était sans doute une planète de la mode ou de la renommée, ayant à son tour des satellites, mais je n’en distinguai que deux : d’abord lord Castleton, remarquable par la décoration de la Jarretière. Sa taille avait pris un certain embonpoint majestueux, et des boucles grisonnantes commençaient à diaprer sa soyeuse chevelure ; mais il l’emportait encore sur tous par sa beauté, qui ne dépendait pas tant de la jeunesse que d’une heureuse combinaison de la tournure et des manières, et de cette exquise suavité d’expression qui séduit les cœurs et fait qu’on est heureux d’admirer. On pouvait dire de lord Castleton ce qu’on disait d’Alcibiade, « qu’il était beau à tout âge. »

Je sentis ma respiration s’embarrasser, et un nuage passa devant mes yeux au moment où lord Castleton me conduisit à travers la foule, et me présenta à Fanny Trévanion. Qu’elle était changée ! Je fus ébloui de cette radieuse vision. Je sentis le doux contact de cette main blanche comme la neige, mais aucun frémissement coupable ne me fit tressaillir. J’entendis sa voix aussi musicale que jamais, mais plus grave, plus assurée, moins tremblante qu’autrefois. Ce n’était plus la voix qui transportait mon âme dans mon oreille[1]… C’en est fait, mon rêve s’est envolé pour toujours du milieu de ce monde qui ne rêve plus.

« Une autre vieille amie ! s’écria lady Ulverstone, qui vint à moi en conduisant par la main un beau garçon de neuf ans, tandis qu’un second de deux ou trois ans plus jeune se cramponnait à sa robe. Une autre vieille amie… avec deux amis nouveaux, pour quand les vieux ne seront plus, » ajouta-t-elle. Sa voix était mélancolique ; mais elle devint plus gaie lorsque, après m’avoir présenté le jeune vicomte, elle attira le petit lord Albert, qui était plus timide que son aîné, et qui avait, sur le front et dans les yeux, quelque chose du regard et de l’intelligence du grand-père dont il portait le nom.

Le tact de lord Castleton sut bientôt mettre fin à l’embarras

  1. Paroles de sir Philippe Sydney.